Marina Yaguello est linguiste et professeure émérite (elle a 75 ans) à Paris VII. De langue maternelle russe, elle est agrégée d’anglais et travaille sur le français, l’anglais et le wolof. Elle a écrit plusieurs ouvrages dans ces différentes langues mais une grande majorité en français (sur la langue française donc). Tout ça, c’était sa courte fiche Wikipédia. Deux extraits vont nous intéresser.
Madame la Ministre, dans Petits Faits de langue (1998)
Adresse une lettre à Ségolène Royal, alors déléguée à l’Enseignement scolaire du gouvernement Lionel Jospin, auprès de Claude Allègre ministre de l’Education nationale (affirmera par la suite avoir eu des relations de travail difficiles avec lui). Si elle s’adresse à Ségolène, ce n’est qu’une mise en forme, elle ne se sert que de la notoriété de la femme politique pour développer son propos. Elle commence d’ailleurs sa lettre avec une citation de Freud : « Céder sur les mots c’est céder sur les choses » ; de quoi appuyer son propos et le rendre utile, une petite punchline pour bien démarrer.
Les femmes ont eu jusqu’à récemment une position que très secondaire en politique, derrière l’écrasante domination des hommes. Aussi, lorsque certains arrivent à de hautes fonctions, elles souhaitèrent qu’on les traite comme des hommes. Cependant, en 1997, Marina Yaguello constate autre chose : les femmes politiques veulent qu’on les traite comme des femmes en se faisant appeler « Madame la Ministre » et non plus « Madame Le Ministre ». Une appellation dure à dire pour les hommes politiques.
S’en suit une analyse linguistique et historique de comment ont été appelées les femmes politiques au cours de la Vème République (à partir du moment où elles ont eu le droit de vote bien sûr). Entre administrations et institutions peu progressistes (mention spéciale à l’Académie Française qui en 81 refusèrent de nommer Marguerite Yourcenar académicienne) et médias qui respectent la décision des femmes concernées, se battent et se provoquent, chacun y va de son expression de la langue française, en allant jusqu’à « ministresse » pour le Canard enchaîné (ironie ou non, à vous de lire pour en connaître la réponse !).
Si Martine Yaguello avait une vision pessimiste de la fin du XXème siècle, elle s’est trompée et le conçoit, grâce à l’action des femmes politiques nouvelles apparues avec le Gouvernement Jospin. Plus qu’une analyse linguistique, Yaguello pose une vraie réflexion sur le féminisme que ce soit du côté des anti ou du côté des pro. Elle interroge le lecteur sur l’appellation des femmes : les différencier ou non ? Elle utilise des exemples très simples, facile à comprendre et montre une certaine évolution de l’utilisation de notre chère langue. A la fin, elle cite même un tacle de Ségolène Royal à l’Académie Française !
De l’importance d’un point de détail, dans En écoutant parler la langue (1991)
Dans cette analyse, Marina Yaguello va reprendre l’expression de Jean-Marie Lepen déclarée le 13 septembre 1987 alors qu’il était député du Front National. Il a dit à propos du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale : « c’est un point de détail ». Après une énorme polémique, cinq jours plus tard il publie un rectificatif en minimisant son expression et donne au mot « détail » un sens neutre. Petit spoiler, il a été condamné pour ça (la négation de crime contre l’humanité est répréhensible). Pour corriger M. Le Pen, elle reprend les significations de différents dictionnaires, afin d’en faire une synthèse, n’hésitant à aucun moment à utiliser des dictionnaires à destination des enfants. Marina Yaguello attache la signification de l’expression avec le contexte, il faut que les deux puissent être en adéquation. Une courte analyse (on ne va tout de même pas donner beaucoup de pages à une personne qui raconte des horreurs, cela gâcherait de l’encre) qui permet de remettre en place certains négationnistes qui, au lieu de lire des livres conspirationnistes, feraient mieux de plonger leur nez dans un dictionnaire ; si c’est trop difficile, le Petit Robert sera parfait.
Alors, Marina Yaguello ?
Marina Yaguello est-elle une militante ? Avec ces extraits, on se rend compte que pas vraiment. Intellectuelle et minutieuse, elle arrive à prendre du recul et essaie de tirer un maximum d’objectivité dans ses ouvrages, elle reste en effet une universitaire. Une décalage très sympathique avec les situations absurdes qu’elle analyse.
On parle de sciences sur Cequejepense, mais aussi de politique !