Ceci est un commentaire de texte de l’article De l’impossibilité de critiquer la télévision à la télévision : l’expérience d’Arrêt sur images, écrit dans le cours d’Information-Communication de Lise Henric dispensé à Campus Tech.
« De l’impossibilité de critiquer la télévision à la télévision : l’expérience d’Arrêt sur images » est un article du numéro 61 du magazine Mouvements, sorti en janvier 2010 et écrit par Barbara Fontar. Elle a analysé l’émission ainsi que les critiques qui lui avaient été faites afin de connaître comment exercer efficacement un regard critique sur la télévision. La télévision est-elle un bon moyen de prendre du recul sur la télévision afin de la critiquer (positivement ou négativement) ? Dans un premier temps, nous verrons ce qu’est une critique médiatique, pour dans un second temps prendre l’exemple de l’émission Arrêt sur images. Enfin, nous verrons comment les médias ont eux-mêmes critiqué l’émission.
En introduction, Barbara Fontar a choisi de parler de la critique médiatique, d’en faire une définition généraliste afin de pouvoir l’appliquer à tous ses exemples afin de soutenir sa thèse. Pour cela, elle a repris les travaux de plusieurs sociologues et intellectuels : Koselleck, Montesquieu, Bourdieu, Boltanski et Walzer. Avec ça, elle a déterminé qu’on trouve un état problématique dans la critique sociale, qui est l’objet de la critique : « quelque chose qui va mal » (page 86). Le but d’un critique est de montrer ce qui ne va pas, afin de faire changer les choses. L’auteure mobilise plusieurs aspects qui permettent à un critique d’argumenter ; il y a tout d’abord la morale : « C’est parce que le critique considère qu’on ne vit pas à la hauteur de ces principes, que le critique, en s’appuyant sur eux, prend le rôle de le rappeler à ceux qui s’en affranchissent. » (page 86). Ensuite vient la connaissance : elle est le savoir mais aussi la pratique (on acquiert de l’expérience). Voici comment elle parle de la critique sociale : « Pour résumer, le critique décrit, explique, évalue les pratiques et les dénonce publiquement en prenant position contre. » (page 86).
Ensuite, elle va expliquer que la critique sociale s’adresse aux dominés, afin de libérer la connaissance et leur permettre une prise de conscience d’une emprise (politique, sociale). Elle s’adresse également aux dominants, afin d’obtenir du changement de leur part et une amélioration des pratiques. Pour terminer sur la critique sociale, elle « a des limites et suscite des réactions de rejets dans l’espace public, notamment de la part des dominants, les plus souvent objets de la critique. » (page 86).
Pour préciser au niveau de la critique des médias, Barbara Fontar explique que la pratique journalistique a été sujette à plusieurs crises par le passé par les pratiques des journalistes. Cela est en fait dû à plusieurs choses : « L’influence du champ économique sur les médias, leur relation avec le champ politique, le nivellement par le bas, la spectacularisation de l’information, etc. » (page 87). Voici de quoi les journalistes ont été accusés : « la question de sa moralité n’a cessé d’être posée : médiocrité, corruption, subordination, dérapages, sensationnalisme, massification de l’information, superficialité, mercantilisme, voyeurisme sont des thèmes nés avec le journalisme. » (page 87).
La télévision, en tant que nouveau média, va être adoptée par les journalistes, il va donc forcément y avoir des critiques. C’est en 1950 qu’on assiste au premier direct télévisé, et déjà des critiques se font entendre, comme celle d’Umberto Eco : « La télévision abrutit les gens cultivés et cultive les gens qui mènent une vie abrutissante ». Si au début, la télévision appartient peu à peu à l’Etat, plusieurs chaînes privées vont être créées et on va assister à une certaine libéralisation du marché.
Pour Barbara Fontar, c’est en 1990 qu’on observe une forte augmentation des critiques médiatiques envers la télévision. En effet, la télévision étant devenue à cette époque le principal média dans la société française, le plus utilisé pour se divertir et pour s’informer, elle est une cible privilégiée. Dans un premier temps, c’est la presse écrite et radiophonique qui va se mettre à critiquer la télévision. Voici ce que dit Barbara Fontar : « Dès 1958, les grands quotidiens nationaux ont leur chronique télévision et les hebdomadaires d’information s’y intéressent aussi. » (page 88). L’auteure donne l’exemple symbolique de Daniel Schneidermann, reporter puis grand reporter au journal Le Monde ; il devient le chroniqueur critique de la télévision de son journal en 1992. Si cet exemple est symbolique, c’est parce que ce journaliste va être à l’origine de la création de l’émission Arrêt sur images en 1995.
Arrêt sur images est une émission créée en 1995 présentée par Daniel Schneidermann dans un format hebdomadaire sur France 5 (à l’époque La Cinquième). Le but était d’en faire un outil pédagogique ayant un rôle éducatif, rôle de la chaîne France 5 créée en 1994. Le but était d’analyser les images que l’on voyait à la télévision, afin de les décrypter et les expliquer aux téléspectateurs. Dans cette émission, plusieurs chroniqueurs intervenaient, mais aussi les auteurs des reportages mis en avant, afin de débattre.
Si, auparavant, la critique télévisuelle était exclusivement externe, elle peut être désormais interne, ce qui change beaucoup de choses. Plus qu’une critique interne, Barbara Fontar qualifie le travail d’Arrêt sur images de critique située, qui « porte sur des actions déterminées ou sur des dispositifs concrets dont les individus qu’on apostrophe ont la maîtrise » (page 89). En réalité, Arrêt sur images ne souhaite pas accuser la télévision en général, ni même un quelconque système médiatique, mais des actes, des paroles précises de journalistes et réalisateurs d’émissions. Le but est de poser des questions sur la déontologie journalistique, et de changer les pratiques des confrères de Schneidermann, de les rallier à sa « cause ». Barbara Fontar explique d’ailleurs qu’il est compliqué de donner une définition du journaliste, tant la profession compte de pratiques mais aussi de différences d’application de ces pratiques et de méthodes de travail. Si les valeurs et les déontologies sont mêmes, leurs interprétations sont différentes ; il y a donc un désaccord entre plusieurs personnes (qui n’ont pas la même vision ou la même interprétation), c’est là qu’apparaît la critique médiatique.
Arrêt sur images a rencontré plusieurs difficultés au cours de son existence, par son originalité, mais aussi par le fait qu’elle soit une émission de critique médiatique. Il est difficile d’inviter des journalistes pour critiquer en face d’eux leur travail. On nous explique que l’émission a essuyé beaucoup de refus à des invitations à venir sur le plateau : TF1 a refusé toute invitation à partir de 2003. De plus, si les invités viennent, cela ne veut pas dire qu’ils vont pouvoir librement tout raconter sur leurs méthodes et leurs pratiques. Un journaliste ne va pas aisément critiquer quelque chose produit par son journal, son média, son entreprise. C’est ce dont l’auteure s’est rendue compte : « cela montre qu’il est difficile de tout dire sur la télévision et ses pratiques à la télévision, notamment ce qui va mal. » (page 92). Ce n’est pas spécialement la faute des journalistes, ni de l’émission, mais plutôt de son concept : « Arrêt sur images et les réactions qu’elle a suscité dans les rangs journalistiques pointe la difficulté qu’ont les membres de cette profession à pratiquer une autocritique publique, d’analyser et d’expliquer les limites auxquelles leur pratique est soumise. » (page 92). Les premières personnes concernées pas Arrêts sur images ne sont pas les téléspectateurs, mais bien les journalistes, et ils ne se sont pas privés d’en parler dans leurs papiers.
Tous les journaux n’ont pas traité l’émission de la même manière : « Une analyse discursive du traitement médiatique d’Arrêt sur images dans la presse française 23 montre qu’il n’y a pas une perception unique de l’activité critique d’Arrêt sur images, mais des actes de réception résultant d’affinités et d’antagonismes entre l’interprète (tel journal) et Arrêt sur images » (page 92). Elle montre une dualité sur l’acceptation de l’émission de la part des journalistes. Elle va citer des articles de presse pour appuyer son propos, et montre qu’en fonction des journaux, tous ne sont pas d’accord.
Il y a cependant une chose sur laquelle tous sont d’accord : l’appellation d’Arrêt sur images. Tous vont qualifier l’émission de « tribunal médiatique » (page 93). Cependant, tout comme les valeurs, l’interprétation n’est pas la même selon les journaux : « cette acception renvoie à deux modèles opposés du tribunal : l’un renvoie au justicier (valeur toute positive) et l’autre au moraliste (sens péjoratif). » (page 93).
Arrêt sur images a été arrêtée en 2007 car déprogrammée. Souvent critiquée, elle a au moins eu le mérite de rester 12 saisons à l’antenne. Ce cas d’étude permet de mettre en évidence la critique interne de la télévision, car plusieurs problèmes se sont posés : difficulté à faire parler les journalistes, conflit d’intérêts, etc. Également, le fait que l’émission prenne la forme d’un « tribunal » a fait qu’il était compliqué d’en ressortir une vision objective de la chose, puisque le présentateur Daniel Schneidermann était lui-même journaliste (pour Le Monde) : qu’est-ce qui le rend plus légitime qu’un autre pour critiquer un travail journalistique ? Si la critique de la télévision est compliquée, les faiseurs d’Arrêt sur images ont su se battre et défendre leur vision du journalisme pendant douze ans face à de nombreuses problématique, ce qui peut aussi être considéré comme une réussite. Nous pourrions également nous interroger sur l’intérêt de la prise de recul par rapport aux médias, et par qui doit-elle passer si elle ne peut passer par des médias.
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