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L’Amour ouf : « t’en as mis du temps »

l'amour ouf

« Le savoir est une arme », aiment bien dire certains rappeurs : mélangé à de l’amour, ça vous donne L’Amour ouf, un film de Gilles Lellouche qui vient de sortir. L’histoire d’une histoire d’amour franche, qui prend son temps, à cause de tout ce qui l’entoure.

Synopsis de L’Amour ouf

« Les années 80, dans le nord de la France.

Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c’est l’amour fou. La vie s’efforcera de les séparer mais rien n’y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur… »

Une histoire d’amour bien classique, à la recette qui fonctionne toujours

Le film est une adaptation d’un roman éponyme de Neville Thompson et ça se sent très clairement, que ce soit dans sa dimension thriller et sa dimension romance. Sur l’amour, le fait d’avoir deux personnages totalement opposés qui tombent amoureux, c’est très cliché. Cela me rappelle un roman, Star-crossed lovers de Mikaël Ollivier (un fils de patron d’usine qui tombe amoureux d’une fille d’ouvrier syndiqué), mais en moins « évident ». Parce que peu importe, il y a le contexte social du Nord de la France, de Lomme dans ce film, qui rajoute une couche de difficultés sociales.

Pour autant, les deux personnages n’ont pas du tout le même caractère et c’est aussi ce qui favorise (facilement) les interactions entre eux et leurs interactions avec leurs proches. Et honnêtement, c’est loin d’être ce qui est le plus intéressant à tirer de L’Amour ouf. Même si les histoires d’amour sont souvent des histoires de sang. Non, ce que j’y vois est ailleurs.

Les mots aussi sont une arme blanche, ou presque

Une dimension peu mise en avant dans le film, mais qui fait toute son essence et sa finesse… c’est le manque de vocabulaire de Clotaire, ou plutôt son incapacité à le mobiliser. Alors oui, il a la répartie énergique, les répliques qui fusent, surtout dans sa jeunesse qu’il passe (en partie) à se pavaner devant le lycée du coin, clashant tous les élèves à peine descendus du bus. Pourtant, au fond de lui, il y a… Un être sensible. C’est condescendant au possible, mais ça cache autre chose : comme Clotaire ne peut utiliser des mots qu’il ne connaît pas, il lui reste ses mains. Pour frapper.

Et c’est sans doute ça la plus grande leçon de L’Amour ouf. En fait, quand on n’a pas de mots, on doit se résoudre à se battre physiquement et plus mentalement. Si Clotaire est celui qui frappe le plus et le plus fort, c’est tout bonnement parce qu’il n’arrive pas à s’exprimer autrement, au sens premier du terme. Et dès qu’il a les mots, qu’il a le temps, la patience et les conditions pour le faire, alors il s’en sort bien, comme tout le monde. Je ne vais pas aller plus loin là-dessus pour éviter de faire de gros spoilers, désolé. Mais c’est en tout cas la dimension du film que j’ai préférée, d’autant plus qu’elle est montrée subtilement.

L’Amour ouf a aussi des scènes ouf à montrer

Ce qui m’a réellement plu dans L’Amour ouf, ce sont la mise en scène et la photographie. Pour moi, Gilles Lellouche, c’était l’acteur d’Astérix et Obélix : L’Empire du milieu, ou bien un acteur de n’importe quelle comédie française. Quoique Le Grand bain (qu’il a réalisé) était excellent, même si filmé de manière assez traditionnelle. Et en fait dans ce film, il s’est lâché (avec l’aide du directeur de la photographie Laurent Tangy aussi). Que ce soit dans la manière dont se meuvent les personnages, le choix des plans, des insertions de plans dans des scènes, le perfectionnement des éclairages et le choix des cadres, presque tous les plans sont intéressants.

Il n’y a en fait que très peu de champ-contrechamp ici, ce qui ne rend pas les 2 heures et 40 minutes du film trop longues (les dialogues et le scénario aident aussi). Même les moments musicaux sans dialogues sont bien ponctués et même utiles à l’histoire, tout en étant filmés comme si c’étaient de vrais clips musicaux. Il y a une scène qui était risquée plus que tout : celle du rapport sexuel entre Clotaire et Jackie (ce n’est pas un vrai spoiler, soyez rassurés). Filmer des adolescents, jouer une scène façon « première fois » avec des personnages mineurs, c’est casse-gueule. Mais là, c’est fait avec une extrême subtilité, et une sensualité timide, mais présente. On ne voit pas de vrais mouvements, de parties du corps trop exposées. Ce alors même que les plans sont filmés de très près.

Alors que beaucoup veulent entériner le cinéma français et notamment celui qui recycle les mêmes personnes (réalisateurs, acteurs), cette œuvre montre que c’est contreproductif. Ne restent que l’esthétique jaunie façon vieille photo argentique des années 80 parfois et surtout les effets de flare appuyés, qui sont de trop.

Que retenir de L’Amour ouf ?

Difficile de dire que L’Amour ouf est un grand film : c’est en fait une belle surprise. Ne vous fiez pas à sa durée, ni même à son casting ou à qui est derrière la caméra. Tout ça, vous l’oublierez au moment où le long-métrage démarrera. C’est évidemment un film accessible à tout le monde, qui ne changera pas votre vie, mais ça reste de l’art. Un art qui n’utilise pas les mots, mais les images, pour montrer que les mots, c’est plus important qu’on ne le pense. Un art franc comme les personnages qu’il entend filmer : les gens du Nord. Un art qui ne raconte pas une histoire d’amour grandiloquente ou à vous faire pleurer à chaudes larmes, mais qui raconte des tranches de vie franches, qui vous crie à la gueule les effets la condition humaine, dans son contexte.

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