C’est peut-être le film français de 2023, un film de procès, mais aussi un film de famille : Anatomie d’une chute, de Justine Triet. Par sa mise en scène, il montre que le palais de justice, c’est aussi un cinéma.
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Synopsis d’Anatomie d’une chute
« Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple. »
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Un drame bien ficelé
À la manière d’un des Petits meurtres d’Agatha Christie, Anatomie d’une chute, c’est tout d’abord le scénario d’un drame dont on ne connaît le dénouement qu’à la fin. En réalité, (et c’est du spoil, peut-être), on n’apprend la vérité qu’à la fin du film : était-ce un meurtre ou bien un accident, voire un suicide ? Les doutes planent constamment sur Sandra, la femme de Samuel. D’un autre côté, la piste d’un suicide semble la plus probable. Et c’est d’ailleurs là tout l’intérêt du long-métrage, ce qui nous fait rester.
C’est même un drame très littéraire : parfois, on a l’impression d’écouter un livre, tant les répliques des personnages le sont. C’est d’autant plus « méta » que les deux parents sont tous les deux auteurs (bien que l’un le soit plus que l’autre). Une histoire qui ne tombe jamais dans la surenchère et c’est appréciable.
Une affaire judiciaire ne se passe pas que dans un tribunal
Anatomie d’une chute, c’est peut-être l’antithèse de Le Procès Goldman. S’il s’agit également avant tout d’une affaire judiciaire, elle n’est pas si importante que cela au final, tout au plus un fil rouge. Le tribunal n’est en fait qu’un prétexte pour se replonger dans les protagonistes : et c’est d’ailleurs en partie ce à quoi sert un tribunal. Dans chaque affaire, pour comprendre (à ne pas confondre avec le fait de justifier) des actes, on cherche des indices dans la vie d’un ou plusieurs protagonistes. Pour s’en rendre compte, je vous invite à écouter le podcast Mécaniques de la Justice consacré au procès Cottrez.
Là où la musique est absente dans Le Procès Goldman, elle est presque omniprésente dans le film. Un morceau joué au piano revient à plusieurs moments : Asturias d’Isaac Albéniz. Joué par Daniel, le fils de Sandra et Samuel, il est joué fort, comme pour extérioriser quelque chose, et devient presque insupportable, avec son rythme qui semble s’accélérer ou encore l’absence de pause.
Mention spéciale à Messi, qui incarne Snoop, le chien guide de Daniel, qui est malvoyant. C’est assez fou à quel point il occupe un véritable rôle dans le film, et réalise des actions qui ont été dirigées et rythmées. Pour en savoir plus, je vous invite à regarder la vidéo de Madmoizelle des coulisses de l’entraînement du vainqueur de la Palm Dog.
Quand la mise en scène rattrape le procès
Le film de Justine Triet mélange plusieurs genres cinématographiques : le film de procès, le policier, le drame et même le thriller. Mais il ne le fait pas que dans son scénario. La mise en scène aussi participe à cette hétérogénéité cinématographique. En fait, plusieurs scènes qui se déroulent après la mort de Samuel créent des réminiscences chez les personnages, et plus généralement des flashbacks. Mais ils ne le sont pas en tant que tels. Par exemple, une scène de reconstitution de l’accident (ou du meurtre), va déclencher en un changement de plan, le retour au véritable accident. Autre exemple : lorsque Daniel parle de ce que lui a dit son père, il prononce ses mots. Alors l’image se met à montrer Samuel en train de lui parler, mais toujours avec la voix de Daniel. Ce qui fait qu’on est à la fois dans les souvenirs de Daniel et dans le tribunal.
L’exemple le plus parlant, c’est celui de la dernière dispute entre Sandra et Samuel. La conversation ayant été enregistrée, elle est diffusée durant le procès, afin de comprendre ce qui a pu se passer. On entend le couple crier, se critiquer et même se frapper. Sauf qu’on n’a pas l’image au procès : seulement l’enregistrement audio. En un plan, la réalisatrice nous fait passer du tribunal au salon du chalet ou Sandra et Samuel se disputent. Mais on n’entend pas directement le couple : on l’écoute depuis l’enregistrement qui a été fait. Ces effets sont réalisés tellement habilement qu’on ne les sent presque pas. Ou plutôt si : lors du retour à la réalité. Réalité dans laquelle Samuel est mort, Sandra suspectée de meurtre et une famille en deuil. Et ce retour-là, je peux vous assurer qu’il n’est pas agréable. Il n’y a qu’un tout petit défaut qui m’a dérangé.
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Anatomie d’une chute, qui fait mal ?
Et si le film était trop long ? Pas beaucoup, mais juste un peu : c’est vrai que deux heures et demie, ça commence à chiffrer. Et ça se ressent un tout petit peu dans l’histoire, mais seulement par petites touches : certains dialogues auraient pu être raccourcis. Je pense que c’est une sorte de volonté de Justine Triet : puisqu’il n’y a pas réellement de flashbacks dans sa mise en scène, faire durer les discussions peut être un moyen de faire oublier les transitions entre la salle d’audience et le chalet. C’est d’autant plus surprenant que la fin est par certains points presque expédiée. Là encore, ça peut s’expliquer : la délibération des juges, c’est la fin d’un film de procès, le combat, il est durant l’affaire, pas après. Puisque tout a été dit durant les audiences, il n’y aurait alors plus rien à dire.
Plus généralement, Anatomie d’une chute est un très beau film, que je vous invite à regarder. Pour le mélange des genres, pour ce film de procès un peu particulier, pour cette musique incessante qui reste dans les oreilles, pour le fabuleux jeu des acteurs, mais aussi et surtout pour ce choix de mise en scène qui mélange tribunal et chalet. Parce que c’est l’Anatomie d’une chute qui fait mal, mais qui le fait excellement bien.