L’actuel Président de la République Emmanuel Macron est-il un « président communicant » ? Quelles sont les particularités de la communication politique du chef de l’État et comment aborde-t-il sa communication ? Ceci est un écrit réalisé dans le cadre du cours Théories et pratiques de communication politique de Didier Chauvin donné à l’Université Rennes 2 en deuxième année de licence Information Communication.
Le Président de la République, inévitablement communicant
En février dernier, le Président de la République Emmanuel Macron a lancé un « défi » aux vidéastes et humoristes Mcfly et Carlito1. Il consiste en la réalisation d’une vidéo pour rappeler l’importance du respect des gestes barrières. Si cette vidéo atteint les dix millions de vues sur YouTube, Emmanuel Macron prend un engagement : il les invitera à l’Élysée pour tourner un « concours d’anecdotes ». Cela donnera lieu à la chanson Je me souviens publiée le 23 février sur YouTube² ; en quelques jours la vidéo dépasse les dix millions de vues. Ils ont qualifié cette action de politique, en avançant notamment le fait que les prochaines élections présidentielles approchent, mais disent cependant ne pas avoir de démarche politique. Par ailleurs, ils ont tenté de court-circuiter l’opération de communication de l’Élysée en critiquant leur propre application des gestes barrières mais aussi en lançant des piques à Emmanuel Macron.
Dans les médias, dans l’opinion publique et sur les réseaux sociaux, il a été qualifié de « président communicant ». Mais qu’est-ce que cela veut dire et est-ce qu’Emmanuel Macron est un « président communicant » ?
Il semble intéressant de se pencher sur la définition de communicant. Selon le Trésor de la langue Française3, communicant signifie : « Qui participe à la communication en tant que processus. […] Qui aime communiquer avec autrui. ». On retrouve donc la notion de participation à la communication mais aussi de la motivation et l’engagement qu’on peut avoir pour cette participation.
Nous pourrions faire la différence entre un président communicant et un président qui se veut communicant. Mais en voulant être communicant, un président communique et devient donc communicant ; les actions (de communication) menées ont forcément un impact, même minime. On peut alors considérer qu’à partir du moment où le président a pour volonté d’être communicant, il l’est.
Par sa fonction présidentielle, Emmanuel Macron est une personnalité publique ; il est connu de tous et est continuellement analysé à chaque décision et à chaque prise de parole. Sa fonction est actuellement la fonction politique la plus médiatisée en France. Tout ce qu’il fait peut alors être considéré, d’un point de vue extérieur au sien, à une communication. C’est ce que souligne Julien Roman dans son mémoire La communication du président de la République depuis l’élection d’Emmanuel Macron4. À partir de là, Emmanuel Macron sait que tout ce qu’il fait est communication ; il en joue alors inévitablement, même peut-être de façon inconsciente.
Dans cet exercice d’analyse et de réflexion, la communication du Président de la République est celle qui a pour objectif de promouvoir et d’informer la politique du personnage, de son Gouvernement et de son parti, que ce soit dans le cadre de ses fonctions mais également dans le cadre des prochaines élections, quelles qu’elles soient. C’est en tout cas ce qu’il conviendra d’étudier ici dans le cas d’Emmanuel Macron.
Notre question sera donc : est-ce qu’Emmanuel Macron participe activement à des processus de communication ?
Comment les équipes d’Emmanuel Macron construisent la communication du Président de la République
Dans sa communication, Emmanuel Macron n’est pas seul. En effet, le Cabinet du Président de la République comporte un pôle communication5, avec un conseiller, une conseillère technique communication internationale, une conseillère technique presse nationale, un conseiller opinion, un conseiller discours et une conseillère discours adjointe ; six personnes au total dédiées à temps plein à sa communication. Ce sont des « spin doctors », des « experts en retournement d’opinion », des « fabricants » de consensus ou des « façonneurs » d’opinion, des « manipulateurs » d’événements ou de médias.
Ces spin doctors utilisent d’ailleurs la stratégie des « fumigènes » pour le Président. Cette stratégie repose principalement sur des annonces « choc » pour créer l’événement, la captation et le détournement de l’attention ainsi que la définition de ce qu’on appelle l’ »agenda médiatique ». On peut considérer que c’est ce que fait Emmanuel Macron.
C’est quelque chose que l’on retrouve particulièrement lors de ses quelques annonces à la Nation dans le cadre de la pandémie de Covid-19 en France. Ces interventions sont plutôt rares et la plupart du temps sont faites dans le but d’annoncer des mesures importantes qui vont impacter le quotidien des Français. Ces annonces sont capitales politiquement pour le Président de la République, chaque mot est étudié pour qu’il passe le mieux possible. On le remarque dans le discours d’annonce à la nation du 12 mars 2020 à propos de la pandémie. Via une analyse de linguistique quantitative6, on peut déterminer que le style est argumentatif, avec des verbes factuels et des modalisations qui sont là pour appuyer son discours. Par ailleurs la notion du temps revient très souvent. Avec ce discours comme avec ceux qu’il a pu déclamer durant ce contexte particulier, il possède le pouvoir de faire de grandes annonces, capte toute l’attention d’énormément de Français durant plusieurs minutes ; il maîtrise aussi la temporalité, celle du discours mais aussi celle des mesures.
À côté de ça, connaître l’opinion des citoyens est primordial et ça le Gouvernement l’a bien compris. Une opinion publique étudiée en détail par le Service d’Information du Gouvernement qui « remplit ses missions selon trois axes : il analyse l’évolution de l’opinion publique et le traitement médiatique de l’action gouvernementale ; il informe le grand public de l’action du Premier ministre et du Gouvernement ; il pilote et coordonne au niveau interministériel la communication gouvernementale. ». Ce service est placé sous l’autorité du Premier ministre et sert donc indirectement au Président de la République.
Dans un rapport du député Lauren Saint-Martin, une note est adressée à propos du SIG7. Entre 2019 et 2020, on apprend que la dotation initiale pour ce service est passée de 13,3 à 14,2 millions d’euros. Cependant, ce sont surtout les dépenses du SIG qui sont étonnantes : en effet, en 2019 les dépenses se sont élevées à 16,21 millions d’euros et en 2020 (jusqu’en octobre)8, elles se sont élevées à 26,2 millions d’euros. Le rapporteur met en cause « la place prise par les sondages dans la conduite de l’action publique » qui serait trop importante. Les sondages et études commandés ont été très nombreux en 2020, en lien avec l’épidémie, alors que les administrations publiques s’endettent. Le rapporteur « estime que le recours important aux études d’opinions pour orienter les politiques publics est fortement discutable ». En fait, ce rapport prouve que le Gouvernement et peut-être plus largement La République En Marche utilisent les sondages pour connaître les opinions des citoyens et ainsi orienter leurs discours et leurs mesures. Il est politiquement primordial de connaître les personnes à qui l’on s’adresse et comment la communication peut être perçue ; pour D. Wolton, l’enjeu de la communication politique est « la maîtrise de l’interprétation politique de la situation ».
Emmanuel Macron maîtrise les réseaux sociaux et les utilise pour changer le travail des journalistes
Un autre aspect de la communication d’Emmanuel Macron qui peut montrer que c’est un président communicant, ce sont les réseaux sociaux. Comme nous l’avons vu précédemment, il a été et va être très exposé sur la plate-forme YouTube. Bien qu’il n’y fera pas de débat ou de discours politique, il y sera présent, aux côtés de Mcfly et Carlito. Cette exposition pourrait d’ailleurs se faire durant ou un peu avant la campagne présidentielle qui débutera dans quelques mois. Cependant, il faut noter que durant la campagne présidentielle, la répartition équitable du temps de parole est de mise à la télévision et à la radio, sous le contrôle du CSA. Mais sur Internet et sur YouTube, ce n’est pas le cas ; Emmanuel Macron pourra donc communiquer « comme il l’entend », sans vraie restriction de temps de parole.
Les réseaux sociaux sont des outils qu’il connaît et manipule très bien. Dans son mémoire dont nous avons déjà parlé, Julien Roman explique qu’Emmanuel Macron a une « conception jupitérienne de la communication » ; il explique que le Président de la République envisage la communication de manière verticale : il transmet une information à tous les Français. Cela se fait en se passant très largement des médias et des journalistes : « il utilise ces réseaux pour faire passer son message et, ce, sans l’intermédiaire des journalistes », « qui seraient des filtres entre le pouvoir et les citoyens ». Une étude des publications postées sur les réseaux sociaux entre novembre 2017 et janvier 2018 sur les comptes de l’Élysée et d’Emmanuel Macron permet de montrer certaines choses. Tout d’abord, Emmanuel Macron et ses équipes de communication privilégient très largement les comptes personnels du Président notamment sur Twitter. Parmi Facebook, Instagram, le site de l’Élysée et Twitter, 55% des publications ont été faites sur le compte Twitter d’Emmanuel Macron. C’est d’ailleurs sur ce réseaux que les réactions sont les plus nombreuses, derrière on trouve sa page Facebook et son compte Instagram. Par ailleurs, Twitter est important puisque « sur l’ensemble des publications qui ne proposaient pas un contenu nouveau, 68% ont été publiés sur le compte Twitter d’Emmanuel Macron ».
Emmanuel Macron est un « président communicant »
À travers ces questionnements, on peut montrer qu’il y a une différence entre un président communicant qui l’est inévitablement par sa fonction et un président qui se veut communicant : Emmanuel Macron se place dans la seconde catégorie. On peut considérer qu’il fait du marketing politique comme le pensait Agranoff : sa personne était très mise en avant durant sa campagne électorale, avec son parti en retrait ; on note un rôle croissant des techniques de communication, des études en amont sur le « marché électoral » que sont les citoyens et le rôle croissant des médias et des « spins ». Même ceux qui étudient cette communication politique rejoignent le Gouvernement : Julien Roman est aujourd’hui chargé d’analyse au SIG.
Cette façon de communiquer s’affranchit d’ailleurs largement des journalistes et de la presse, qui pour autant peuvent représenter un quatrième pouvoir et faire de la médiation entre la parole du Président et la perception de cette parole par les citoyens.
Bibliographie
- Le PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE nous lance un défi. Voilà. Dinguerie ? Oui., Mcfly et Carlito. YouTube. 19 février 2021. Disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=IX_HdFFjSGs
- « Je me souviens » (clip gestes barrières), Mcfly et Carlito. YouTube. 19 février 2021. Disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=t4h8j9xLyxQ
- Définition communicant, TLFI
- La communication du président de la République depuis l’élection d’Emmanuel Macron, Julien Roman. Mémoire préparé sous la direction de Guillaume Courty, année universitaire 2017-2018. Disponible à l’adresse suivante : https://pepite-depot.univ-lille2.fr/nuxeo/site/esupversions/ab97f114-e2d3-4e49-8134-a82d81ae3684
- Équipe du Présient, Élysée (en ligne). Consulté le 12 avril 2021. Disponible à l’adresse suivante : https://www.elysee.fr/la-presidence/cabinet-du-president-de-la-republique-et-services-de-l-elysee
- Le traitement de la crise du coronavirus par les membres du Gouvernement – Linguistique, Hugo Bernard. 31 décembre 2020. Disponible à l’adresse suivante : https://hugobernard.fr/traitement-crise-coronavirus-membres-gouvernement/
- Service d’information du Gouvernement (SIG), Gouvernement.fr. Consulté le 13 avril 2020. Disponible à l’adresse suivante : https://www.gouvernement.fr/service-d-information-du-gouvernement-sig
- Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360), Lauren Saint-Martin. 8 octobre 2020. Disponible à l’adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b3399-tiii-a15_rapport-fond
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