Jusqu’au 15 janvier, le musée d’Orsay organisait une exposition retraçant l’œuvre de Rosa Bonheur, peintre spécialisée dans la peinture animalière qui avait rencontré un très grand succès de son vivant. Une exposition qui revient sur son rapport ambivalent aux animaux et sur les leurs liens avec les humains.
Le Musée d’Orsay a également organisé une exposition sur Edvard Munch, qui est aussi à découvrir (plus pour longtemps !).
Synopsis de Rosa Bonheur (1822-1899)
« À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur, le musée d’Orsay présente une importante exposition qui met à l’honneur cette artiste hors norme, novatrice et inspirante, tournée vers la nature. Peintre considérée comme une icône de l’émancipation des femmes, Rosa Bonheur a placé le monde vivant au cœur de son travail et de son existence et s’est engagée pour la reconnaissance des animaux dans leur singularité, exprimant dans sa peinture leur vitalité et leur « âme ». »
Musée d’Orsay
Une peintre qui ne vient pas de nulle part, mais surtout une passionnée d’études
Le père de Rosa Bonheur était Raymond Bonheur, un peintre. Rosa Bonheur a quitté très tôt l’école, pour suivre une éducation artistique faite par son père, mais aussi par la pratique, par la lecture. Rosa Bonheur est à mi-chemin entre une autodidacte complète et une peintre de formation grâce à son père.
Ce qui a marqué sa carrière, qui débute surtout par Deux lapins, un tableau assez classique, c’est véritablement sa passion pour l’étude des animaux. Que ce soit leur comportement, leur anatomie ou leurs gestes, elle les a longuement observés, elle a beaucoup lu et c’est ce que l’exposition montre. En plus d’être peinte, Rosa Bonheur était aussi sculptrice : représenter des animaux en trois dimensions ainsi que leur intérieur lui permettait aussi de mieux les appréhender. En plus de ça, elle a beaucoup voyagé, elle s’est beaucoup baladée.
Une autre obsession et qui a marqué ses tableaux : l’œil des animaux. C’est sans doute le plus compliqué à peindre, mais aussi le plus puissant, pour créer un regard qui attire. Voici ce qu’elle disait :
« Je ne me plaisais qu’au milieu de ces bêtes, je les étudiais avec passion dans leurs mœurs.
Rosa Bonheur
Une chose que j’observais avec un intérêt spécial, c’était l’expression de leur regard : l’œil n’est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes ;
N’est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations des êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autre moyen d’exprimer leur pensée. »
Sa passion pour les chevaux : un animal noble très représenté en peinture
Un chef-d’œuvre de Rosa Bonheur, c’est Le Marché aux chevaux : un tableau très prenant qui n’était malheureusement pas présent au musée d’Orsay. On a tout de même eu le droit à une reproduction plus petite, mais surtout au travail d’étude et aux essais réalisés par la peintre en amont pour arriver au résultat qu’on connaît. Sa grande force dans la peinture animalière et particulièrement dans la représentation de chevaux, c’est qu’elle le fait de manière plutôt réaliste. La musculature des chevaux est moins romantisée et davantage précise que sur d’autres tableaux de la même époque. La petite touche de réalisme : la poussière fine dans les jambes des chevaux qui est très équilibrée.
Les animaux sont même un sujet qui l’intéresse plus que les humains. Dans son portrait du Colonel William F. Cody, elle peint ce dernier avec moindre de détails que son cheval. Le cheval est de plus un animal qu’elle a privilégié :
« Mon rêve est de montrer sur la toile le feu qui sort des naseaux des chevaux, la poussière qui jaillit sous leurs sabots. Je veux que cette valse infernale, ce tourbillon effréné, donnent le vertige à ceux qui la verront »
Rosa Bonheur à propos de La Foulaison du blé en Camargue, tableau inachevé
Rosa Bonheur : une artiste appartenant à la culture populaire
L’exposition aborde aussi la question de la diffusion des tableaux de l’artiste. Elle a eu la chance d’être largement diffusée via des gravures et des représentations sur de nombreux objets, tant et si bien qu’elle a fait partie en son temps de la culture populaire. Ce d’autant plus que son art était (et est toujours) accessible : les animaux sont d’ailleurs un bon vecteur puisqu’ils sont séduisants (au regard par exemple de leur succès sur les réseaux sociaux aujourd’hui).
Un rapport entre les hommes et les animaux ambivalent
Tout au long de sa vie, Rosa Bonheur a eu une vision ambivalente sur le rapport entre les hommes et les animaux : tantôt un jeu de pouvoir (d’exploitation des animaux), tantôt un jeu d’harmonie complet et bien sûr touchant. Par exemple, dans Labourage nivernais (un de ses chefs-d’œuvre et une commande de l’État), elle montre la souffrance de l’animal, qui se tue à la tâche, à la sueur de son front (des expressions que l’on peut aussi attribuer aux animaux). À l’époque, il n’y a pas de réel combat animaliste, mais ce tableau peut en être un des prémices.
D’un autre côté, Rosa Bonheur montre la « majestuosité » des animaux, comme avec Le Roi de la forêt. Ce qui est fort avec elle, c’est qu’elle ne rend pas les animaux humains pour autant, elle ne force pas cet aspect-là. Pour elle, les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, mais on ne peut leur donner toutes les caractéristiques humaines. Pour continuer sur ce tableau de cerf, il est puissant. Il montre la rencontre d’un cerf, que l’on peut faire un peu par hasard si on a de la chance. Un moment qui peut durer une fraction de seconde avant que le cerf ne s’en aille, mais qui offre juste assez de temps pour croiser son regard. Mais parce que c’est un magnifique animal et en plus de ça mystérieux, sa rencontre, on s’en souvient longtemps.
Enfin, une autre ambivalence dans le regard de Rosa Bonheur sur les animaux, c’est que selon ses tableaux, elle peut détruire leur mythe dans la peinture, mais participe d’un autre côté à leur construction, notamment sur ses tableaux de fauves et autres animaux exotiques.
Dans L’Aigle blessé, elle peint un aigle blessé au niveau de la poitrine : s’il y a une explication géopolitique (l’aigle est un symbole de l’Empire), elle casse aussi son mythe dans la peinture classique.