Chloé Barreau a osé faire ce que personne n’ose : demander à ses anciennes relations amoureuses de parler d’elle. Elle en a réalisé un documentaire, Fragments d’un parcours amoureux, sans qu’elle n’y apparaisse. Qu’ont dit ses ex d’elle ? C’est tout le voyeurisme du film.
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Synopsis de Fragments d’un parcours amoureux
« Depuis ses 16 ans, entre Paris et Rome, Chloé a filmé ses amours. Coup de cœur adolescent, relation à distance, passion charnelle… alors qu’elle vivait une histoire, elle en fabriquait déjà le souvenir. Mais de quoi se souviennent ces ex ? Quelle est leur version des faits ? Douze d’entre eux se livrent pour reconstituer un parcours sentimental aussi singulier qu’universel. »
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Des bribes de vie dans un caméscope contre des témoignages contemporains
Ce qu’oppose et réunit à la fois Chloé Barreau, ce sont les dizaines de vidéos qu’elle a enregistré tout au long de sa vie (amoureuse également) et les témoignages de ses ex, vingt, trente ans plus tard. Les uns réagissent aux autres et c’est comme ça que l’histoire avance ; on découvre petit à petit ses anciennes relations. Sauf que ces personnes qui témoignent, elles ont un recul sur ce passé, un souvenir, qui n’est qu’une représentation de ce passé. Et ce souvenir vient se fracasser contre les cassettes vidéo.

C’est ce qui donne corps à Fragments d’un parcours amoureux, ce qui enclenche les séquences comiques, poétiques, mais aussi celles où les ex découvrent une vérité qu’ils n’avaient jamais vue. C’est cette dualité qui donne cette force et on sent Chloé Barreau coincée entre ses enregistrements vidéo et ses ex. Être amoureuse de l’amour, c’est laisser toute la place dans sa vie à ses relations amoureuses, c’est les multiplier, c’est les engager, c’est les trahir, c’est les terminer. Du moins, c’est ce que la réalisatrice, ou plutôt ses ex, nous expliquent.
Prise de risque ou documentaire timide ?
Comme dit plus haut, Chloé Barreau a osé faire ce que personne n’ose faire. Les relations amoureuses peuvent mal se terminer, bien se terminer, se terminer sans jamais vraiment se terminer. Des années plus tard, on peut se demander : mais que pense de moi cet ex ? Avouons-le, tout le monde a cette envie voyeuriste et égocentrique de savoir ce que pensent nos anciennes relations amoureuses de nous. Une forme de mise à nu de la réalisatrice, vraiment ?

Ce qui m’empêche de totalement dire ça, c’est qu’on ne la voit presque pas : dans les vieilles vidéos prises avec son caméscope, elle est soit filmée de près, soit de loin, soit pas filmée. Et quand elle est filmée, c’est souvent dans le noir. On ne l’entend pas, puisqu’elle vit à travers l’amour des autres et c’est en soi le message de Fragments d’un parcours amoureux. Elle s’est parfois cachée, soustraites à ses amoureux et à ses amoureuses, et c’est en quelque sorte ce qu’elle fait aussi ici. Je ne peux m’empêcher de me dire que sa résilience n’est pas totale (mais bien avancée, à coup de pied au culot).
Fragments d’un parcours amoureux sublime le romantisme
Il faut reconnaître la sincérité qui se dégage dans la démarche : Chloé Barreau sait où taper pour toucher à l’intime, sans trop d’artifices. Des artifices authentiques : vidéos, lettres, témoignages, photographies. Ce qui le rend d’autant plus universel, puisque chaque spectateur peut faire des échos avec ses propres histoires (souvenirs, réflexions, regrets, erreurs, nostalgies).

Mes cours de sociologie me forcent à voir dans ce film un entre-soi, celui d’une jeunesse dorée du Quartier Latin, celle qui a fréquenté Henry IV et Fénelon, très culturelle, intellectuelle, intellectualisée et intellectualisante. Une jeunesse qui ne pense pas trop à l’extérieur, sauf quand c’est pour mieux s’y enfuir. Fragments d’un parcours amoureux apparaît presque comme un film qu’on fait pour ses amis et pas pour un public plus large. Ce qui me fait évoquer ça, c’est aussi le manque de structure dont on se rend parfois compte durant le visionnage. Chloé Barreau, sans apparaître réellement à l’image, prend toute la place, trop de place, par rapport à ses amoureux et à ses amoureuses (sauf pour la dernière qui témoigne).

On se rend compte qu’elle s’est perdue dans son amour, qu’elle y réfléchit trop, qu’elle en philosophe trop. Même les témoins s’y mettent : chacun y va de sa petite formule bien trouvée (et c’est sans doute le montage qui met ça en avant, plus que la réalité). Ça tourne de temps en temps à la masturbation intellectuelle façon grande littérature et 5ème arrondissement de Paris et en vérité, c’est aussi ce que je fais un peu avec cette critique. Chloé Barreau est perdue dans son amour, je suis perdu dans ma critique, et c’est comme ça. On n’échappe jamais vraiment à qui on est.
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