Pas vraiment Frankenstein, pas vraiment humaine non plus : Bella Baxter est une « créature », résultat vivant d’une expérience scientifique d’un homme tordu. Et c’est à partir de ça que Pauvres Créatures montre la pauvreté qui est celle des « vrais » humains.
Synopsis de Pauvres Créatures
« Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.
Allociné
Un monde onirique, une vision truquée pour montrer des Pauvres Créatures
Ce qui m’a premièrement frappé dans ce film de Yórgos Lánthimos, c’est son aspect visuel. Fantastique, presque steampunk, mais surtout onirique. C’est comme si on avait créé un Londres parallèle avec des technologies et une culture légèrement différente. En témoigne les manches très bouffantes des différentes tenues de Bella Baxter. Tout semble accordé : les couleurs, les décors, les costumes. Et ça marche bien, même pour les effets spéciaux (même si certains font trop « artificiels » je trouve). En fait, on dirait presque Wonka dans l’ambiance, et ce n’est pas plus mal.
Comme dans Le Roi et l’Oiseau, on a plein de représentations des différentes classes sociales. Le personnage joué par Emma Stone est d’un milieu aisé et ne s’en rend pas compte, avant de voir des gens pauvres économiquement. Et c’est là qu’elle veut les sauver. C’est ainsi qu’on a des immeubles, des bateaux, des voitures, des créatures, qui semblent tout droit sortis de rêves qu’on pourrait tous faire.
Ce qui est appréciable aussi, c’est l’effet d’arrondi sur la caméra. À plusieurs reprises, des scènes sont filmées avec un effet fisheye, arrondissant les bords, déformant les lignes. C’est comme si on était dans la tête de Bella Baxter, voyant le monde différemment des autres, ou comme si l’on était dans un trou de serrure, ou derrière une caméra de surveillance, façon voyeur. Cet effet arrondi se retrouve même dans les flous d’arrière-plan de certaines scènes.
Du féminisme qui ne dit pas son nom, et c’est tant mieux
Sans codes sociaux, Bella Baxter est en fait… très féministe. Pourtant, Pauvres Créatures ne se revendique jamais comme tel, et c’est justement pour ça que c’est très fort. Cela montre à quel point le patriarcat est en fait une construction sociale, quelque chose d’inventé par l’homme et pour l’homme. Les thématiques féministes y sont nombreuses : polyamour, liberté sexuelle, égalité des droits, le viol, la propriété du corps, la prostitution. Et sur tous ces points, en termes de féminisme, Pauvres Créatures ridiculise quelque peu Barbie (aussi parce qu’il n’est pas produit pr Mattel). En combattant, elle ne fait pas qu’obtenir des droits, elle en jouit littéralement, et elle apprend à en jouir.
Là où j’ai un petit doute, c’est que cette liberté sexuelle est donnée par… un homme, Duncan Wedderburn, qui en lui montrant cela, tente d’en profiter. On pourra donner le bénéfice du doute au fait que l’héroïne prend cette liberté comme elle l’entend, quitte à fâcher celui qui lui a fait découvrir cela. Tout ça même si logiquement, je ne suis pas le mieux placé pour parler féminisme. Et ce jeu scénaristique permet de taper là où ça fait mail, de ne pas prendre de pincettes grâce à un personnage fantasque. Ce qu’il bouscule, c’est non pas lui-même, mais les patriarches que sont les personnages de Godwin Baxter et de Duncan Wedderburn. C’est d’ailleurs selon moi le génie des grandes comédies.
À lire également : Thelma and Louise : le féminisme s’apprend en road trip
L’histoire d’une femme, Bella Baxter
Le choix du noir et blanc et de la couleur n’est pas sans intérêt. En fait, lorsque Bella Baxter est entre les mains de son « créateur » Godwin Baxter (joué par Willem Dafoe), alors il n’y a pas de couleurs. De quoi mieux montrer que lorsqu’elle est avec lui, elle est prisonnière de lui, alors même qu’il l’a « sauvée » d’une mort certaine » et qu’il l’a fait naître.
Ce dont rêve l’héroïne, c’est de liberté et c’est peut-être là tout le sens du film. Peu importe qui on est, on a droit à la liberté. C’est ce qui ferait notre part d’humanité. Grâce à son personnage principal, il ne montre non pas seulement l’intérêt de la cause féministe, mais aussi en quoi l’être humain, en tant qu’espèce, est détestable.
Les Pauvres Créatures, c’est surtout nous
Ce qui fait qu’au final, Bella Baxter n’est pas une féministe, ni une créature de Frankenstein : c’est une humaine, une humaniste. Et le message du film est donné avec un tel sarcasme, une telle sensibilité, une telle subtilité, que ça fonctionne à merveille. Le tout avec une Emma Stone à fond dans son rôle : Bella Baxter est presque hypnotisante. On dirait que Pauvres Créatures, c’est pour les pseudo-cinéphiles, les bobos qui ne veulent plus des comédies françaises ou des intellectuels qui ne jurent que pas les films d’auteur. Mais j’ai plutôt l’impression qu’il est pour tout le monde, même si c’est (trop) original, parce que c’est frais.
N’en reste pas moins que le film est peut-être un tout petit peu trop long. En fait, il y a plusieurs scènes de sexe. Elles ont un intérêt certain, puisqu’elles viennent illustrer le propos du film. Mais elles peuvent paraître un peu répétitives : une ou deux en moins n’auraient rien enlevé à l’essence du film. C’est peut-être la seule principale critique que l’on pourrait formuler à Pauvres Créatures.