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Asteroid City : « Pour pouvoir se réveiller, il faut d’abord s’endormir »

asteroid city

Wes Anderson est revenu en 2023 au Festival de Cannes avec Asteroid City, une histoire dans une histoire, mélangeant deuil, extra-terrestre et armée. Le tout dans un emballage chatoyant, mais profondément mélodramatique. Ce réalisateur de génie signe-t-il un retour triomphal ou une succession de caméos pour satisfaire Hollywood ?

Synopsis d’Asteroid City

« Asteroid City est une ville minuscule, en plein désert, dans le sud-ouest des États-Unis. Nous sommes en 1955. Le site est surtout célèbre pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique à proximité. Ce week-end, les militaires et les astronomes accueillent cinq enfants surdoués, distingués pour leurs créations scientifiques, afin qu’ils présentent leurs inventions. À quelques kilomètres de là, par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires. »

Allociné

Chaque scène est une peinture

On retrouve dans Asteroid City la patte « Wes Anderson » : il n’y a pas tant de reflets symétriques et idylliques comme le raconte Lord Esperanza dans Comme ça. Du moins, les compositions sont plus complexes que ça. Dans un style ressemblant au réalisme américain de l’après-guerre, le film s’inscrit dans ce même contexte artistique.

Cela passe tout d’abord par des couleurs assez vives et une certaine sobriété dans les décors, voire une vision onirique du désert. Des montagnes très hautes et oranges, un ciel bleu parfait et quelques petites maisons qui forment une ville. De plus, le centre d’intérêt principal d’une scène n’est pas souvent au centre de l’image. C’est dommage de ne pas avoir poussé cela plus loin, ça aurait eu encore plus d’intérêt. Tant d’ouverture sur le monde, mais tant d’ouverture qui n’est pas utilisée, en tout cas pas par les personnages.

Asteroid City est ouvert, mais on s’y enferme

En fait, Asteroid City est rempli de sarcasme : on sent que le réalisateur a quelques messages à faire passer, sur plusieurs sujets, tout en conservant une certaine âme d’enfant. Il aborde les questions de l’adolescence et du fait de se découvrir, comme avec les premiers amours, mais aussi les suivants. Wes Anderson traite également du sujet du deuil, sans pour autant détailler les classiques étapes : c’est plutôt l’incompréhension, l’absence de préhension de la mort, qui est mise en avant. Cela se caractérise dans le film par l’annonce de la mort de la mère de Woodrow et des trois fillettes trois semaines après son décès. Cela passe aussi par le fait qu’elle a été incinérée : son corps n’existe plus sous sa forme primaire, et en plus de ça, ses cendres sont stockées dans un « vulgaire » Tupperware.

Autre thématique abordée : celle de l’armée et de son pouvoir sur la société américaine. C’est elle qui détient de l’argent et qui peut en donner. Elle peut régir les déplacements et les actions de chacun, sans nécessairement être compétente. Là aussi, le contexte historique dans lequel s’inscrit Asteroid City est important : en 1955, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que la conquête spatiale tourne à plein régime et que les guerres dans lesquelles les États-Unis ne se sont pas encore empêtrés. De quoi dénoncer pour une première fois les agissements de son armée.

Toutes ces thématiques sont discrètement amenées, ponctuent l’histoire du film. En fait, elles sont emballées derrière un visuel onirique comme évoqué précédemment. C’est justement le décalage entre cette vision de rêve qu’apporte l’esthétique d’Asteroid City et de ce quoi il traite qui crée son sarcasme et qui rend les messages d’autant plus forts.

L’aphorisme : « Pour se réveiller, il faut d’abord s’endormir »

Asteroid City est un film qui raconte l’écriture, la mise en scène et la représentation d’une pièce de théâtre. Ladite pièce est l’histoire qu’on suit tout au long de ce film : il y a donc une histoire dans l’histoire. Vers la fin du film, on voit le producteur et l’auteur de la pièce chercher des comédiens pour les personnages. Dans une volonté d’en trouver un qui « sache dormir », on voit les personnages entrer dans une sorte de transe. Ils répètent inlassablement : « Pour se réveiller, il faut d’abord s’endormir », un aphorisme qui paraît quand même plus profond qu’à première vue, tant il est martelé.

C’est peut-être là que ce cache le message le plus important d’Asteroid City : les scènes qui s’y déroulent sont en fait celles qu’on s’invente, la manière dont on s’imagine la pièce, grâce justement à notre imagination. Les visages des personnages ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des comédiens qui jouent la pièce. Pour se réveiller, il faudrait s’endormir : mais qu’est-ce que ça veut dire, se réveiller ? L’hypothèse la plus simple et la plus probable, c’est vivre : lorsqu’on est réveillé, a priori on est en possession de son corps, on peut faire ce que l’on souhaite. Mais pour vivre, il faudrait s’endormir. Ce n’est pas à prendre au sens propre, mais plutôt au sens figuré. S’endormir, c’est abandonner son esprit, ou du moins le faire divaguer. S’endormir, c’est se donner les moyens de reprendre des forces, mais aussi et surtout de rêver. Pour vivre, il faudrait rêver ? Alors, dans la vie il serait nécessaire avant tout de rêver, et par extension de garder son âme d’enfant. Difficile de comprendre cet aphorisme, mais c’est ce qui semble le plus prégnant dans Asteroid City, bien que le film ne se termine pas exactement dessus.

Il n’y a rien à comprendre à Asteroid City

Mais tout cela, c’est un peu du blabla. Il est possible que la réponse au vrai sens d’Asteroid City ne se trouve pas dans l’un de ses messages politiques, ni dans son sarcasme subtil ou bien dans sa réponse au sens de la vie. Il pourrait se trouver au sein de l’histoire qui raconte l’histoire, de celle de la pièce de théâtre. On y voit le comédien jouant l’extra-terrestre raconter jouer de façon métaphorique, sans pour autant trouver une métaphore. Aussi, celui qui joue le personnage du père dit au metteur en scène ne pas comprendre son propre personnage, même en le jouant et en l’ayant lu. Le message d’Asteroid City, c’est peut-être qu’il n’y a pas de message. La preuve : l’auteur de la pièce meurt dans le film. Donc même s’il y en avait un de message, personne ne serait jamais vraiment sûr de l’avoir. Alors, toute la complexité des films de Wes Anderon tomberait à l’eau, comme un auto-sabotage. Comme Babylon, Once Upon a Time in Hollywood, Singing in the Rain, c’est un film sur un film, ou plutôt un film sur une pièce de théâtre. Mais la dimension « méta » du film est indéniable. Espérons que l’industrie cinématographique parle un peu moins d’elle pour rappeler qu’elle fait du cinéma, parce qu’en 2023, on en a déjà eu beaucoup.

Cela va même peut-être plus loin : le casting d’Asteroid City est impressionnant : Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Adrien Brody, Margot Robbie, Jake Ryan, Steve Carell, Hope Davis, etc. La liste est assez longue, et le film ressemble presque à un gigantesque caméo. Comme s’ils étaient là parce qu’ils étaient de grands acteurs de cinéma.

Que retenir d’Asteroid City ? Oui, c’est un ovni (parce qu’il y a un ovni dans le film !), certains aspects le rendent presque expérimental, son esthétique est remarquable, sa distribution aussi et certains dialoguent restent, tels des punchlines. Pourtant, on n’arrive pas bien à saisir tout le film, peut-être parce qu’il est trop court, ou trop dense. Ce dont on peut être sûr, c’est qu’entre les lignes, c’est encore un film dramatique, mais avec une couverture colorée.

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