« Combien d’amour allez-vous donner à cette marque ? » Les journalistes spécialisés dans le lifestyle parlent des influences commerciales dans leur travail

Fiche de lecture et résumé détaillé de l’article “How much love are you going to give this brand ?” Lifestyle journalists on commercial influences in their work de Folker Hanusch, Thomas Hanitzsch et Corinna Lauerer de l’Université d’Oxford. Le titre pourrait être traduit par « Combien d’amour allez-vous donner à cette marque ? » Les journalistes spécialisés dans le style de vie parlent des influences commerciales dans leur travail.

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Résumé de « Combien d’amour allez-vous donner à cette marque ? » Les journalistes spécialisés dans le lifestyle parlent des influences commerciales dans leur travail

« Outre son rôle traditionnel dans la communication politique, l’information fournit de plus en plus d’aide, de conseils, d’orientations et d’informations sur la gestion de soi et de la vie quotidienne. Pourtant, ces formes de journalisme sont encore régulièrement dénigrées dans les discussions scientifiques, car elles s’écartent souvent des idéaux normatifs. C’est particulièrement vrai pour le journalisme de style de vie, pour lequel peu d’études ont examiné l’impact des influences commerciales. Grâce à des entretiens approfondis avec 89 journalistes australiens et allemands spécialisés dans le style de vie, cet article explore la manière dont les journalistes ressentent la façon dont les industries du style de vie tentent de façonner leur travail quotidien, et la manière dont ces journalistes gèrent ces influences. Nous constatons que les journalistes spécialisés dans le style de vie sont en lutte constante pour le contrôle du contenu éditorial et que leurs réactions face aux pressions commerciales croissantes varient entre la résistance et la résignation. Cette constatation a des implications pour notre compréhension du journalisme dans son ensemble, dans la mesure où elle l’élargit au-delà des conceptualisations traditionnelles associées au journalisme politique.”

Sage Journals

Hanusch, F., Hanitzsch, T., & Lauerer, C. (2017). ‘How much love are you going to give this brand?’ Lifestyle journalists on commercial influences in their work. Journalism, 18(2), 141-158. https://doi.org/10.1177/1464884915608818

Notes de lecture

Introduction

Pour les chercheurs, on assiste à une “réorientation des organisations médiatiques pour s’adresser aux publics en tant que consommateurs plutôt qu’en tant que citoyens”, du fait de “la transition de nombreuses sociétés occidentales vers des cultures de consommation”. Cela engendre une augmentation de la production médiatique vers le domaine privé, la vie quotidienne et les besoins individuels. Cela passe par “de l’aide, des conseils, des orientations et des informations sur la gestion de soi et de la vie quotidienne”. Le journalisme “de style de vie” a été sous-étudié par la recherche scientifique au profit du journalisme politique : il serait “en dehors de l’idéal normatif du journalisme” et “trop influencé par le commerce”. L’étude montre “que trois types d’influences sont reconnues comme les pressions les plus dominantes subies par les journalistes spécialisés dans le style de vie” :

  • L’influence des annonceurs ;
  • L’influence des relations publiques ;
  • L’utilisation de produits et services gratuits.

Des pressions plus importantes dans ce domaine “en raison du fait qu’il y a moins de garanties contre de telles interférences externes.”

Le journalisme de style de vie comme champ d’investigation académique

Le journalisme “lifestyle” a croît de manière importante depuis les années 1970, avec l’arrivée des cultures de la consommation et la télévision (télé-réalité). Pourtant, il a reçu moins d’attention de la part des scientifiques (même s’il y a eu des études sur certains sous-domaines). Ainsi, le journalisme de style de vie rempli plusieurs fonctions :

  • Service (de l’aide, des conseils, des orientations) ;
  • Divertissement.

Les différentes définitions ont pour commun de lier ce domaine journalistique et la consommation : il y a là un “alignement étroit sur les intérêts commerciaux des organismes d’information” et qui dessert leur but journalistique selon le consensus scientifique. Pour lui, “le journalisme devrait être libre de toute influence commerciale”. Les auteurs se réfèrent ainsi à Hanusch et Hanitzsch (2013) en définissant le “journalisme lifestyle” comme “la couverture journalistique des valeurs et pratiques expressives qui contribuent à créer et à signifier une identité spécifique dans le domaine de la consommation et de la vie quotidienne”.

Influences commerciales dans le journalisme

Les auteurs citent Shoemaker et Reese (1996 et 2014) pour leur travail sur la “hiérarchie des influences”, avec cinq niveaux :

  • Individuel ;
  • Routines médiatiques ;
  • Organisationnel ;
  • Extra-médiatique (surtout les institutions sociales) ;
  • Idéologique (surtout les systèmes sociaux).

Les niveaux organisationnel et extra-médiatique sont les plus importants puisque liés aux influences commerciales (propriétaires de médias, annonceurs, relations publiques). En corrélant cela avec le modèle de production d’informations de McManus (1995), les médias répondent à un marché qui n’est pas uniquement celui des audiences, mais aussi celui des annonceurs, sources et investisseurs. Ce qui fait que les normes commerciales peuvent remettre en cause les normes journalistiques.

En réalité, cette entrée renforce le domaine politique au détriment des autres. Les journalistes tendent à nier cette intrication au nom de leur idéologique professionnelle. Pourtant, on suppose fortement que le contexte économique de moins en moins favorable aux médias (chute des revenus publicitaires, difficultés à rentabiliser un modèle économique sur le numérique) rend l’influence potentielle de la publicité et des relations publiques d’autant plus grande. Les journalistes ont moins de temps et moins de moyens. D’un autre côté, les relations publiques montent en puissance (personnels, moyens financiers).

Les influences commerciales dans le journalisme de style de vie

Hanusch, Hanitzsch et Lauerer trouvent trois domaines clés sur les influences commerciales sur le journalisme “lifestyle” : publicité, stratégies de relations publiques et les “freebies”.

Publicité

Pour beaucoup de journalistes spécialisés, ce qu’ils font n’est pas de la publicité et ils disent défendre les intérêts des consommateurs, alors même que ces derniers sont plongés dans la publicité, ce qui rend leur choix du meilleur produit/service de plus en plus difficile (via Usher, 2012).

PR

Pour les auteurs de l’article, “l’activité des professionnels des relations publiques qui visent à obtenir une couverture médiatique positive sont étroitement liées à la publicité.” Il y a un consensus sur le fait que les institutions et les entreprises “jouent un rôle de plus en plus influent dans le processus de production de l’information.” Ils rappellent qu’en 2008, Lewis et al. “affirment que les pressions exercées sur les journalistes pour qu’ils augmentent leur productivité ont incité les reporters à s’appuyer de plus en plus sur des sources d’information prêtes à l’emploi provenant de l’industrie des relations publiques.”

Par ailleurs, certains journalistes travaillent en simultané dans une rédaction et dans les relations publiques, surtout s’ils sont indépendants. Les journalistes sont toutefois conscients des stratégies de relations publiques visant à “générer une couverture favorable pour les produits et les marques […] et étaient assez sceptiques quant à l’utilisation de matériel de relations publiques dans leurs reportages”. Pour autant, c’est une ressource utile qui est “un moyen de gagner du temps dans un travail d’information”. Pour certains journalistes donc, les “RP” n’ont “pas nécessairement une influence indue sur les informations”, bien qu’ils puissent être dépendants (par exemple pour les journalistes de voyage).

Freebies

Les “marques” offrent souvent des produits et services gratuits aux journalistes : “Les journalistes qui examinent des articles de technologie personnelle ont régulièrement accès aux derniers produits, les journalistes de mode obtiennent des vêtements gratuits pour les séances de photos et les journalistes de voyage sont souvent accueillis par des compagnies aériennes et des organisations de marketing de destination”. En fait, c’est même nécessaire pour les médias, qui ne peuvent se permettre de financer tout cela. On pourrait naturellement se dire qu’il s’agit d’un conflit d’intérêts direct. Une étude avait même montré que les récits de voyage australiens sur des services gratuits “contenaient une couverture plus ouvertement positive d’un fournisseur de voyages que ceux qui ne le faisaient pas”. D’un autre côté, il existe des récits bien plus nuancés, “sapant ainsi les efforts de relations publiques”.

Résultats et discussion

La frontière entre le rédactionnel et la publicité est ténue

On lit tout d’abord que “les journalistes spécialisés dans le style de vie mentionnent la publicité comme un domaine clé de l’influence commerciale”. Ils sont conscients qu’ils dépendent des annonceurs, mais veulent garder leur autonomie journalistique. La ligne devient de plus en plus fine à cause d’une précarisation des médias, ce qui rend “de plus en plus difficile la résistance aux influences publicitaires.” Les annonceurs font pression sur les médias dont ils sont clients pour obtenir un contenu éditorial que les satisfasse. Une pression qui peut être inexistante comme flagrante : les journalistes eux-mêmes peuvent parfois formuler des propositions éditoriales afin d’attirer les annonceurs. Aussi, les journalistes doivent garder une certaine indépendance, rien que pour rester intéressants pour leur public. Des rédactions considèrent qu’une information impartiale est le meilleur argument de vente qui puisse exister auprès du public : ce sont la plupart du temps celles ayant un fort capital économique.

Ce qui fait aussi que “la relation avec les services publicitaires de leur propre organisation est particulièrement difficile pour de nombreux journalistes, car la pression vient souvent de ces services internes, plutôt que des annonceurs directement.”

Pression constante de la part de la RP

Tous les journalistes mentionnent le fait que les relations publiques sont une influence clé. Il s’agit d’une influence plus directe que celle des annonceurs, parce que les personnes en charges des “RP” sont “plus susceptibles d’être en contact direct avec les journalistes”. Des journalistes font des relations presse, cela peut arriver, tandis que d’autres en sont très méfiants. Les journalistes ont plus tendance à se lancer dans les relations publiques que l’inverse : “c’est une évolution de carrière typique pour les journalistes informatiques”. En effet, ils connaissent bien ce travail et il s’agit d’une profession plus rémunératrice. Les journalistes ayant la double casquette insistent néanmoins sur le fait qu’ils gardent leur autonomie journalistique et se disent “très conscients des conflits d’intérêts potentiels”. Des résultats de la recherche qui corroborent ceux de Koch et Obermaier (2014) : “d’une part, les journalistes ayant un emploi secondaire dans les RP appliquent des stratégies pour éviter les conflits, et que, d’autre part, ils semblent avoir des stratégies pour gérer les rôles conflictuels, comme la fusion des deux rôles, la minimisation de leurs activités de RP ou le rejet de leur responsabilité dans l’engagement dans les RP pour des raisons financières”, écrivent Hanusch, Hanitzsch et Lauerer.

En fait, “les efforts déployés par les professionnels des relations publiques pour influencer les journalistes semblent constants et excessifs.” Cela passe par des mails, et appels téléphoniques de manière quotidienne : cela montre que les relations publiques sont un aspect important du travail de journaliste “lifestyle”. Le matériel produit par les relations publiques peut être utile (et même dans un format journalistique, “avec des citations et des résultats d’études scientifiques”), bien que cela influence le contenu éditorial. Ce qui fait que certains journalistes les évitent complètement.

Des cadeaux en échange d’une couverture favorable

“Les journalistes spécialisés dans le style de vie ont déclaré recevoir divers types de produits et services gratuits ou à prix réduit, qu’ils considèrent tous clairement comme des tentatives d’obtenir une couverture favorable”, peut-on ensuite lire dans cet article. Pour les marques ce serait plus rentable que de payer pour des annonces publicitaires : cela coûte moins cher. Par ailleurs, “la couverture éditoriale tend à donner l’impression d’une évaluation impartiale, alors que le public reconnaît facilement les publicités.” Certains “cadeaux” sont directement liés au travail des journalistes, mais d’autres le sont moins : invitations, produits culturels, etc.

Les trois chercheurs écrivent que “la manière dont les produits et services gratuits sont généralement traités dépend de la déontologie de chaque journaliste, ainsi que du code de conduite de son organisation.” Certaines rédactions refusent systématiquement les cadeaux. Dans d’autres situations, “les entreprises fournissent des produits sur la base d’un prêt uniquement, tels que des téléphones portables ou des gadgets pour des tests, ou des vêtements pour des séances de photos de mode.” Et lorsque les produits sont gardés, ils peuvent être utilisés pour des concours pour les lecteurs, voire vendus par l’organisation, les revenus étant reversés à une oeuvre caritative. Certaines rédactions “ont également des directives strictes sur ce que les journalistes peuvent accepter, et certains disposent même d’une liste de cadeaux.”

Quant aux voyages, certaines destinations sont inaccessibles pour les journalistes s’ils y allaient avec leurs propres fonds. Certains préféreraient que les éditeurs prennent en charge ces frais, comme c’est le cas dans d’autres domaines journalistiques. Ce qui “met en évidence un dilemme important pour les journalistes spécialisés dans le style de vie, qui s’inscrit profondément dans l’évolution historique du journalisme sur le style de vie.”

L’influence agit sur le subconscient : entre résistance et coercition commerciale

Pour certains journalistes, ils ne sont pas du tout influencés par les “cadeaux”, tandis que d’autres en reconnaissent l’influence : pour eux, “la pression est souvent plus subconsciente”. Si les journalistes n’offrent pas une couverture favorable, alors les relations publiques ne travailleront plus avec eux. C’est pourquoi “la pratique consistant à offrir des cadeaux a souvent des conséquences qui ne sont pas nécessairement matérielles à court terme, mais qui ont un impact efficace à long terme. Le vrai problème est donc que le système de coercition institutionnalisé qu’elle produit peut largement passer inaperçu aux yeux des journalistes.”

Par ailleurs, le journalisme “lifestyle” célèbre la consommation, ce qui fait que “les lecteurs ne s’attendent souvent pas à lire des articles négatifs”. Pour répondre à cela, des journalistes ne traitent pas d’un sujet.

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Conclusion

La recherche démontre globalement “une nette proximité du journalisme de style de vie avec le domaine économique.” Les journalistes interrogés sont “confrontés à des normes commerciales émanent de l’audience et du marché publicitaire, comme le suggère le modèle de la production d’informations basée sur le marché (McManus, 1995). De nombreux journalistes ont souligné la nécessité de préserver leur intégrité pour la simple raison qu’ils perdraient sinon leur réputation de source fiable. Dans le même temps, cependant, la résistance est devenue de plus en plus difficile à exercer lorsque de nombreux journalistes réalisent que les revenus financiers générés par la publicité sont cruciaux pour leur survie professionnelle, ce qui en fait une question existentielle dans de nombreux endroits.” Ainsi, “les réactions de journalistes faces aux pressions constantes oscillent entre la résistance et la résignation. L’un des moyens de préserver leur intégrité professionnelle dans une certaine mesure et de ne pas contrarier les annonceurs consiste à éviter les comptes-rendus négatifs sur un produit ou un service en n’écrivant pas du tout à son sujet.”

Les chercheurs démontrent par ailleurs que le “journalisme lifestyle” est un domaine particulier, tout comme leurs organismes d’information, ce qui en fait “un facteur prédictif plus important de leur exposition aux influences commerciales, ainsi que des stratégies qu’ils emploient pour y faire face.” Des influences commerciales d’autant plus fortes dans les rédactions les moins aisées financièrement. Hanusch, Hanitzsch et Lauerer rappellent néanmoins “que les journalistes ne pratiquent pas toujours ce qu’ils disent faire (Tandoc et al. 2012), ce qui fait que les entretiens menés doivent être complétés par d’autres observations : notes ethnographiques dans les rédactions, analyses de contenu.”

Puisque le “journalisme lifestyle” est “plus étroitement lié aux efforts des entreprises pour obtenir une couverture favorable de leurs produits”, il diffère sensiblement du journalisme politique. C’est donc “une cible attrayante pour les publicitaires et les professionnels des relations publique”. Cependant, les journalistes spécialisés en sont conscients et “prennent au sérieux leur rôle d’évaluation et de conseil” en développant “des stratégies pour lutter contre les influences commerciales écrasantes.” Les chercheurs déclarent que leurs résultats sont cohérents avec d’autres études qui montraient déjà que la frontière entre contenu éditorial et contenus émanant des relations publiques est remise en question. Selon eux, “d’un point de vue normatif et politico-économique, il s’agit clairement d’une évolution alarmante.” Ils y voient aussi des solutions : le journalisme politique est devenu le modèle normatif du journalisme, avec l’autonomie éditoriale en tête de proue. Si c’est le cas, c’est parce que la presse doivent être libre. C’est pourquoi Hanusch, Hanitzsch et Lauerer proposent une analyse plus approfondie sur l’applicabilité de cette norme dans les autres types de journalisme.

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