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La sociologie du chouffin

Source : yattaquenelle15 via le forum de JV

L’exposition du terme « chouffin » a explosée avec un tweet publié cet été. Ce qui m’a donné l’idée d’écrire un article sur Numerama pour décrire le stéréotype du chouffin et surtout comment est-ce qu’il a émergé. Un article que je vous invite à lire avant celui-ci : voyez-le comme une extension, un épilogue. L’heure est venue de faire la sociologie du chouffin à ma sauce, qui ne respecte pas trop les codes scientifiques.

Qu’est-ce qu’un chouffin ?

Petit résumé : le chouffin est un stéréotype humoristique et caricatural forgé collectivement en ligne, principalement sur le forum Blabla 18-25 ans de Jeuxvideo.com, et ne correspond à aucune véritable catégorie sociologique existante. L’expression est même née sur ce forum, comme le fait remarquer JVFlux. Le chouffin incarne une figure de sous-culture, issue d’un processus de catégorisation par les internautes autour de goûts culturels et de styles de vie partagés. Il s’agit d’un stéréotype construit par les internautes, avec des goûts culturels et des comportements sociaux qu’on lui colle, qu’on lui stigmatise. « Chouffin » est alors une expression péjorative, comme on utilisait « geek » autrefois.

Le chouffin est donc souvent décrit comme un homme blanc, cisgenre, hétérosexuel, trentenaire, proche des millenials, avec une apparence négligée. Il est peu sportif, alimentation grasse ou sucrée, hygiène douteuse, vêtements sales à l’effigie de licences geeks (séries, jeux vidéo, groupes de métal), intolérance ou mépris pour certaines pratiques populaires. Le chouffin est surtout un passionné de cultures geek mainstream comme Kaamelott, Le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Marvel, Warhammer, ainsi que de jeux vidéo (Zelda, Mass Effect, Dark Souls…), rock et métal mainstream (Metallica, Rammstein) et certains artistes de rap francophone (Orelsan, Stupeflip).

Le chouffin comme contre-culture ?

Le chouffin est résolument une figure sociologique de « contre-culture », en ce sens qu’il n’appartient pas à la culture hégémonique, mainstream. Un exemple qui le montre bien : le chouffin ne possède pas d’iPhone, mais un smartphone Android, le plus souvent avec un bon rapport qualité/prix. L’explication peut être économique évidemment, mais aussi un positionnement statutaire et ostentatoire : le chouffin ne veut pas être un « pigeon » qui achète un iPhone. Cela se voit aussi avec la mode vestimentaire, puisque le chouffin la rejette et peut même en tirer un sentiment de supériorité sociale.

Source : VoltLeChien via les forums de JV

Face à l’avènement de TikTok ou Instagram et des changements culturels, on considère que le chouffin ressent une nostalgie pour son adolescence et qu’il est figé dans les années 2000 à 2010. Le chouffin cherche à s’élever socialement en rejetant la culture mainstream, comme la télévision (et les émissions de télé-réalité), le cinéma français, etc. Si ce stéréotype appartient aujourd’hui à une contre-culture, c’est surtout qu’il est dépassé : il n’existe plus. Il appartenait à la culture mainstream il y a quelques années, plus aujourd’hui.

À quelle classe sociale appartient-il ?

Comment placer le chouffin sociologiquement ? Tout d’abord, les internautes considèrent souvent qu’un chouffin vit en province, dans une petite ou moyenne ville, parfois dans un milieu rural. Il habite alors dans un appartement, ou un pavillon. Le chouffin a la plupart du temps un emploi stable, mais sans ambition. Par son mode de vie, la « chouffinerie », cet homme entre alors dans la « classe de loisir », au sens de Thorstein Veblen, sociologue et économiste américain. Le chouffin fait partie d’une classe de loisir, une classe sociale aisée qui se distingue des autres non par le travail productif, mais par sa capacité à consacrer du temps à des activités non utiles économiquement. Parmi les caractéristiques de cette classe, on trouve la consommation ostentatoire (les vêtements, la consommation culturelle), les loisirs, le besoin de reconnaissance sociale. Ainsi, le chouffin favoriserait des dépenses que beaucoup jugeraient inutiles, capitalistes et mêmes anti-écologiques.

J’ai tenté de placer le chouffin dans la matrice des capitaux de Bourdieu

Ce stéréotype aurait un besoin d’afficher son capital culturel, si bien que certains le perçoivent comme un « monsieur je-sais-tout » qui étalerait sa culture geek (ou autre) avec assurance, parfois de manière maladroite ou malaisante. Qui plus est face aux femmes, auxquelles il fait du mansplaining. Il recherche de la considération, de la distinction sociale. Le chouffin rejette ainsi les normes esthétiques et sociales de sa génération (mais pas que), en adoptant un style négligé, nostalgique, mais consommateur (divertissements, culture, bières, etc.).

Le « chouffin » peut être analysé à travers les capitaux définis par Pierre Bourdieu : économique, culturel, social et symbolique. Cette grille d’analyse éclaire la construction et la position sociale de ce stéréotype collectif. Étonnamment, les avis divergent sur les réseaux sociaux quant à l’orientation politique du chouffin. Certains le décrivent comme étant de gauche, antifasciste et opposé au conservatisme. Mais pour d’autres, le chouffin est essentiellement apolitique, un homme plutôt opportuniste ou contextuel. S’il est de gauche, c’est surtout pour un « vivre ensemble » plutôt abstrait et dépolitisé, presque dans un « entre-soi blanc » qui ne prendrait pas en compte les réalités sociales.

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