le discours de la presse magazine

Le discours de la presse magazine, par François Provenzano

Fiche de lecture et résumé détaillé du chapitre 13 du Manuel d’analyse de la presse magazine (2018), intitulé Le discours de la presse magazine et rédigé par François Provenzano en sciences de l’information et de la communication.

À lire également : le chapitre 3 du Manuel d’analyse de la presse magazine sur les propriétés et fonctions de la presse magazine.

Référence bibliographie

PROVENZANO François, « Chapitre 5. Le discours de la presse magazine », dans : Claire Blandin éd., Manuel d’analyse de la presse magazine. Paris, Armand Colin, « I.COM », 2018, p. 85-104. DOI : 10.3917/arco.bland.2018.01.0085. URL : https://www.cairn.info/manuel-d-analyse-de-la-presse-magazine–9782200619930-page-85.htm

Introduction à Le discours de la presse magazine

Le discours de la presse magazine, comme celui d’autres formes médiatiques, “remplit bien une fonction spécifique dans le paysage médiatique d’une société […] par le biais d’un large éventail de formes, qui vont des clichés de langue à l’énonciation éditoriale, en passant par l’appel aux émotions de l’auditoire ou par le recours à un genre photographique.” Pour François Provenzano, la presse magazine “est par nature polyphonique et constitue en réalité un carrefour où se croisent le discours publicitaire, le discours politique, le discours scientifique, etc.

Le chercheur adopte ici une définition large du “discours” : linguistique et visuelle. Ces deux dimensions sont d’ailleurs centrales en presse magazines et indissociables. C’est ce qui lui permet aussi de “s’intéresser aux propriétés linguistiques, sémiotiques et rhétoriques de de la presse magazine”.

Pourquoi analyser le discours de la presse magazine ?

Le discours entre linguistique et sociologie

Provenzano fait un double constat : les approches uniquement sociologique et linguistique “ne parviennent pas à expliquer complètement la raison d’être et les effets de tous les choix formels qui caractérisent un discours.” L’idée, c’est qu’aucune de ces deux dimensions ne permette d’expliquer “pourquoi tel discours […] se présente sous telle forme.”

Le discours de la presse magazine “ne cesse de redéfinir ses contenus, son style et son auditoire” : elle doit prendre en compte sa communauté. Pour le chercheur, “la vérité rhétorique des choix formels d’un magazine ne coïncide pas entièrement avec la vérité sociologique de sa place sur un marché éditorial ou de la catégorie à laquelle appartient a priori son lectorat”. Aussi, le discours est porté “par des énonciateurs aux profils très hétérogènes” au sein d’une même rédaction (selon leur poste, leurs convictions). Ainsi, “l’orchestration de ces différentes voix et les effets de sens qui en résultent dépassent évidemment la simple somme des parties.” Le discours de la presse magazine est reçu, mais aussi lu, rattaché à d’autres éléments par les lecteurs (selon leurs codes de connotations).

C’est pourquoi François Provenzano écrit que “si la presse magazine est redevable d’une approche discursive, c’est qu’une part de son inscription socioculturelle est lisible dans les formes linguistiques, sémiotiques et rhétoriques qu’elle met en œuvre, en même temps que cette mise en œuvre contribue elle-même à (re) configurer les cadres socioculturels qui autorisent sa production et sa circulation dans une communauté.”

La fonction culturelle du discours

Pour comprendre “le rapport que le discours de la presse magazine entretient avec les pratique, les objets et les représentations culturels qu’il prend en charge”, Provenzano propose : lisibilité et (re)configuration. Il cite alors la “sémiosis sociale” d’Eliseo Verón, précisant que “tout discours est pris entre des conditions de production et des conditions de reconnaissance, qui lui donnent un rôle dans la construction de la réalité sociale.

Chaque pratique culturelle qui atteint “un seuil de densité sémiotique” suffisant “pour qu’on puisse tenir un discours sur elle, qui la rende lisible, appropriable, communautarisable”, peut avoir son titre de presse magazine. C’est aussi parce que cette configuration a des enjeux médiatiques. En plus de ça, chaque titre peut définir “son style, son ton, qui sont davantage qu’un simple positionnement sectoriel par rapport à un lectorat-cible”. Les magazines on pour fonction de “donner une évidence naturelle et une orientation axiologique précise à des pratiques et des représentations culturelles a priori contingentes.”

C’est pourquoi analyser la presse magazine avec une approche discursive est intéressante : cela permet de “comprendre comment le discours de la presse magazine rend lisible et reconfigure des fragments de culture, et comprendre comment les discours de la presse magazine participent d’un style de journal qui s’impose comme un style de vie”. Pour cela, il ne faut pas qu’analyser leurs contenus : il y a le “contrat de lecture d’Eliseo Verón pour “rendre compte de cette relation, si possible durable, que les organes de presse instaurent avec leur lectorat, en la fondant moins sur des contenus que sur des stratégies énonciatives particulières.” En fait, “le contrat de lecture permet ainsi de faire le lien entre le dispositif formel du discours médiatique et les pratiques de lecture qu’il anticipe.” Provenzano parle alors de “manières de dire” qui seraient en fait des “manières d’être”, des “styles de vie”, avec des stratégies énonciatives le plus souvent incarnées. Il rappelle que “le discours de la presse magazine exploite fréquemment des éléments de psychologie collective”, ce qui fait que “le contenu informationnelle compte moins que la configuration affective à laquelle il est associé, et qui donne au magazine sa véritable fonction culturelle.”

Comment analyser le discours de la presse magazine ?

François Provenzano propose ici une “grille possible d’analyse du discours” de la presse magazine afin de “rencontrer au mieux les problématiques rendues saillantes par le discours magazine.”

Du linguistique, du sémiotique, du rhétorique

Les formes linguistiques “dont il est le plus évidemment question relèvent du lexique, mais les autres composantes du système linguistique sont également concernée”, comme la syntaxe ou la grammaire. Sur la presse magazine, “ces formes linguistiques sont indissociables des formes sémiotiques qui accompagnent leur mise en texte et leur mise en page.” Cela relève le plus souvent de l’”énonciation éditoriale” d’Emmanuel Souchier, à savoir “l’ensemble de ce qui contribue à la production matérielle des formes, qui donnent au texte sa consistance, son “image de texte””.

L’illustration, sa place et sa forme font partie “d’une sémiotique des rapports entre texte et image.” C’est d’ailleurs ce qui “permet de décrire la gestion de l’articulation entre deux sources potentiellement conflictuelles, l’une verbale, l’autre visuelle”. L’image peut s’associer au texte, ou s’en dissocier.

Ces “formes linguistiques et sémiotiques participent plus globalement de formes rhétoriques.” Le discours déploie sa logique pour convaincre avec une “rhétorique argumentative”, et s’esthétise avec des figures de style : c’est sa “rhétorique figurale”. Cette vision est pourtant réductrice : le “monopole de l’argumentation” n’est pas possédé par le discours verbal uniquement et le soutien ne passe pas uniquement par l’image. Cette dernière peut aussi argumenter. Ces formes rhétoriques sont complexes en ce sens qu’elles “ne fonctionnent qu’en interaction l’une avec l’autre : le genre de texte ou d’image convoqué plus ou moins explicitement […], la manière dont l’énonciateur […] construit une image de lui-même […], le recours à des émotions collectives”.

Présence de la doxa

Le discours de la presse magazine, comme tous les autres, s’appuie sur d’autres discours et opinions. Tout cela fait partie de la doxa d’une société, “dans l’horizon des croyances admises par la majorité.” Provenzano liste alors plusieurs notions qui parlent de ces discours qui renvoient à des discours antiérieurs.

Selon lui, “le terme d’interdiscours est sans doute le plus intuitif”, puisqu’il permet de comprendre “la dissémination et […] la circulation des éléments doxiques dans des discours de tous types”, citant Ruth Amossy et Anne Herschberg-Pierrot. L’interdiscours peut avoir plusieurs formes : “stéréotypes, clichés, formules.”

Le sociologue écrit que “le stéréotype est souvent perçu péjorativement comme une catégorisation abusive, c’est-à-dire un ensemble d’attributs que des croyances collectives attachent à un groupe humain conçu comme homogène […] souvent pour le stigmatiser ou du moins pour réduire sa variété à un type commun, conforme à la vision et, surtout, aux intérêts du groupe qui manipule le stéréotype.” Le stéréotype généralise “des traits qui sont en fait particuliers”. Toutefois, ils “assument une fonction constructive dans notre rapport au monde, et se révèlent souvent indispensables dans l’expérience de lecture.”

Quant au cliché, il “renvoie plus spécifiquement au plan de l’expression […] pour désigner le figement d’une séquence verbale plus ou moins longue […] qui se trouve ainsi répétée telle quelle dans un grand nombre de discours.”

C’est à partir de ça que la sociologue Alice Krieg-Planque a forgé la notion de “formule”, qui permet de décrire (principalement dans les médias), “des séquences qui conjuguent un figement de l’expression à une indétermination sémantiques, et déclenchent ainsi une charge polémique”. Les formules sont ainsi “extrêmement mobiles dans un espace discursif, et finalement toujours un peu suspectes d’être inadéquates à la réalité qu’elles prétendent décrire.”

Parce qu’elle les fait circuler, la presse magazine contribue à d’autant plus figer “ces éléments doxiques” et renforcent “leur fonction structurante dans un imaginaire social.” C’est d’ailleurs ce qu’on lui reproche souvent. Mais pour François Provenzano “la fonction doxique de la presse magazine gagne à être plutôt comprise comme une réénonciation de fragments culturels […] qui s’accompagne toujours d’une requalification” : c’est ce qui participe à la ligne éditoriale d’un magazine.

Puisque les pratiques culturelles ont une valeur sociale qui leur est attribuée, les magazines se l’approprient. Et la presse magazine “contribue aussi à temporaliser la pratique qu’elle médiatise” : archivage, réactualisation, connotations, pronostic de son évolution. Pour Provenzano, “c’est une part important du sens social construit par la presse magazine autour d’une pratique culturelle, et qui signe souvent une étape clé dans l’évolution d’un secteur.”

Et avec cela, viennent d’autres éléments doxiques, “d’autres routines du dire et du penser.” Il y a là les “fragments réénoncés selon un continuum allant du plan de l’expression […], au plan du contenu.” Des échelles qui “ne sont pas indépendantes l’une de l’autre dans leur fonctionnement concret : c’est leur articulation qui produit des unités sémiotiquement pertinentes”.

Les genres du discours : entre normes et scénographies

La presse magazine suit les normes compositionnelles du journalisme, “elle constitue aussi un espace discursif moins contraint que la presse quotidienne”, de par la relation avec son lectorat. Dans l’analyse du genre journalistique, il y a deux approches :

  • L’approche textualiste : qui se penche sur les “marques linguistiques et compositionnelles”
  • L’approche situationnelle : qui se penche sur les “cadres socio-institutionnels et interactionnels qui socialement toute prise de parole et la conforment à des finalités précises”

Pour la presse magazine, il est possible d’utiliser l’une et/ou l’autre de ces approches. Cependant, François Provenzano voit un intérêt dans l’analyse des modèles génériques, via les différentes rubriques par exemple. C’est avec cela que “le titre impose à la fois un cadre interactionnel et un style de parole.” C’est ce que Dominique Maingueneau appelle la “scénographie” d’un discours.

Pourtant, la scénographie peut piéger, d’autant plus dans un contexte concurrentiel. En réalité, “les magazines cadrent souvent leur propos sur des modèles qui mettent le discours journalistique en tension avec d’autres espaces discursifs : le récit fictif, le conseil à l’achat, l’expertise, le témoignage, la recette, le classement, etc.” C’est pourquoi il vaut mieux se pencher sur ce que fait le magazine à ces genres : “il mobilise des représentations associées à chacun de ces genres de discours, modifie du même coup l’objet dont il parle, et la place donnée à son lectorat par rapport à cet objet.”

Qui parle ? Strates, effacements, responsabilités

Le discours de la presse magazine “est produit par une large gamme d’énonciateurs, qui couvre autant des personnes physiques et individuelles et qualifiées socioprofessionnellement [..] que des instances aux contours plus vagues”. Chaque discours offre une représentation de celui qui énonce ledit discours passe par l’ethos, qui “puise souvent à des répertoires de stéréotypes […] ou mise sur des effets de sens plus généraux et relativement codés structurellement”. Le plus important n’est en fait pas qui parle, mais ce qui complique son identification. François Provenzano identifie alors trois phénomènes.

  1. “La polyphonie du discours du magazine” de Mikhaïl Bakhtine. En fait, le locuteur “n’assume par toujours la responsabilité des contenus de cet énoncé” : c’est le cas de discours rapportés, mais il y a parfois des énoncés ironiques ou “qui font écho à des occurrences antérieures”. Cela brouille l’idenfication de la source, mais renforce aussi “la connivence entre ceux qui sont capables de déchiffrer ces brouilles.”
  2. L’adhésion : quel degré “faut-il prêt aux instances énonciatives du discours du magazine par rapport aux éléments doxiques convoqués ? Il peut y avoir une indistinction entre premier et second degré et “seraient susceptibles de consolider des communautés autour de cette reconnaissance partagée.” Ce qui fait que “la responsabilité de l’adhésion est laissée à la charge du lectorat”.
  3. La multiplicité des strates énonciatives, à savoir “les jeux d’effacement et les ambiguïtés de points de vue” qui posent la question “de l’unité ultime d’un hypothétique ethos du magazine.” Ainsi, “les outils d’analyse du discours peuvent affiner l’approche diachronique de la presse magazine, en intégrant des phénomènes tels que l’ethos parmi les facteurs d’historicité des supports étudiés.

Les thèses du magazine : idéologies, mythologies, commuanutés

La rechercher de la thèse portée par un magazine est évidemment une idée séduisante en sciences sociales. Pour la trouver, il y a évidemment “l’orientation politique revendiquée explicitement par certains titres.” Cependant, cette lecture “néglige la spécificité médiatique des supports envisagés, au profit de catégories idéologiques qui leur sont extérieures.” Certains magazines n’ont a priori “aucune préférence”, puisqu’ils traitent de sujets qui ne sont pas concernés par telle ou telle idéologie (droite/gauche, convervatisme/progressisme) et ils n’ont pas forcément d’intérêt à afficher la leur.

Pour François Provenzano, c’est justement cette fonction mythologique du magazine qui “constitue une autre clé de lecture idéologique”, à savoir “quelle vision du monde s’exprime implicitement à travers tel discours, comment cette vision s’impose-t-elle comme naturelle à ces récepteurs, et comment construit-elle du même coups ces récepteurs en sujets particuliers […] ?” Il poursuit en écrivant que “en mettant en évidence le taux de saturation atteint par les formes doxiques sur une pratique culturelle donnée, ou dans le discours social en général, les magazines en viennent à réfléchir à et critiquer leur propre fonction mythologique.” Les rapports de domination idéologiques peuvent s’inverser. Au final, “l’idéologie portée par le discours du magazine peut toujours se reformuler comme une tentative de construire une communauté.” Ainsi, “la communauté discursive construire par la presse magazine […] a ceci de particulier qu’elle invite à conjoindre […] les producteurs et les récepteurs du discours”. Le sociologue conclut comme ceci : “plus que par des contenus précis, c’est par des formes discursives que ce style se rend lisible et appropriable en tant que forme de vie.”


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