la fabrique du monstre

« La Fabrique du monstre » de Philippe Pujol : Marseille, une France pas comme les autres

En 2016 paraissait La Fabrique du monstre, du journaliste bien connu et bien connaisseur de Marseille Philippe Pujol. Une plongée à travers la cité phocéenne, entre Quartiers Nord et grand banditisme, entre immigration et extrême-droite. Un portrait riche, narré presque subjectivement, et qui veut dénoncer.

Résumé de La Fabrique du monstre

« Sous son ciel bleu, Marseille est un vrai jeu de domino. Noir. Blanc.

L’économie de survie pousse le marché noir.
Qui alimente les trafics d’armes et de drogue.
Qui nourrissent la corruption immobilière.
Qui vit du clientélisme électoral.
Qui fabrique les petits malfrats, des minots de vingt ans, qui vont s’entretuer ensuite…

Au bout du compte, ces facteurs ouvrent un boulevard au Front National.

Depuis dix ans, Philippe Pujol, prix Albert-Londres 2014, plonge chaque jour dans un entrelacs d’HLM immondes, de crimes répétitifs, de drogues trafiquées, de règlements de comptes, de favoritisme et surtout d’humanité piétinée. Personne ne peut sortir de ces zones, dont les enfants ne connaissent même pas la mer. Personne ne veut y entrer. D’une délinquance à l’autre, à chaque nouvelle strate de populations immigrées, cette situation fabrique un monstre. »

Editions Les Arènes

Philippe Pujol fait ici du « journalisme de dénonciation » avec La Fabrique du monstre

Le livre de Philippe Pujol peut selon moi être considéré comme un ouvrage de « journalisme de dénonciation » au sens d’Erik Neveu (qui a également beaucoup analysé les problèmes publics), qui s’appuie lui-même sur la définition de la dénonciation de Luc Boltanski. Le dénonciateur ici, c’est Philippe Pujol, qui se place en représentant au service d’une cause en mobilisant des ressources collectives, bien qu’il ne soit pas élu. Ici, cela passe par le parti pris du journaliste, et de sa manière de raconter Marseille : à travers les habitants, mais aussi à travers son propre point de vue, tel un sociologue. C’est alors un « champion de valeurs ou de causes publiques, personnage public dont l’autorité et la base de pouvoir se situent hors des frontières de la politique » selon Neveu. À la manière de Les Fossoyeurs de Victor Castanet, ou encore de Au coeur du Z de Vincent Bresson, Philippe Pujol utilise une nouvelle forme de journalisme de dénonciation, via un ouvrage et non des articles dans la presse. Il fait ici du muckracking avec cette enquête sur le long terme : corruption, délinquance, dysfonctionnements dans l’appareil public, coups fourrés politiques, etc. Comme les journalistes du muckracking, Pujol est marqué plutôt à gauche, politisé, mais est surtout guidé par un certain sens de l’empathie. L’avantage de l’usage de l’ouvrage, c’est qu’il catalyse cette dénonciation, il sert de prétexte à d’autres formes de communication : on en veut pour preuve le documentaire Arte Péril sur la ville (2019), de Pujol lui-même. L’objectif derrière, c’est aussi d’atteindre d’autres médias (de rang national, dans d’autres formats). Au-delà de ça, le fait d’avoir un livre permet d’indigner et de mobiliser les affects.

À lire également : La vision du journalisme de Zola est-elle toujours actuelle ?

Dans La Fabrique du monstre, la place est principalement laissée au récit, à la description, aux « histoires des gens ». Pour autant, Philippe Pujol n’oublie pas la précision. Les descriptions sont fouillées de détails, de noms de personnalités, de groupes, de faits historiques, de contextualisation. C’est presque parfois jusqu’à l’overdose lorsqu’on parle de groupes organisés comme les partis politiques ou les mouvements d’extrême-gauche et d’extrême-droite qui agissent à Marseille. Si l’on est parfois perdus dans les méandres de tous ces menus détails, c’est peut-être pour comprendre à quel point le monstre décrit ici est complexe et comment il est difficile de s’en défaire. De quoi aussi renforcer l’immersion, en s’imaginant des scènes.

Jean-Claude Gaudin, maire iconique, maire tyrannique ?

Le Marseille de Philippe Pujol, celui de La Fabrique du monstre, c’est aussi celui de Jean-Claude Gaudin, ou plutôt c’était. L’ancien maire de Marseille, resté plus de 25 ans à la tête de la ville, s’est éteint le 20 mai dernier. Le livre rappelle que le grand homme usait de rhétorique et de coups montés pour arriver à ses fins. Ce qui a amené à l’affaire des emplois fictifs du Samu social, dans laquelle il a été condamné. Il y a également eu de forts soupçons de détournement de fonds publics et de recel. Un maire iconique donc, mais surtout sulfureux, qui n’a jamais hésité à collaborer à l’extrême-droite comme à gauche pour obtenir ce qu’il souhaitait. Si Philippe Pujol parle de Jean-Claude Gaudin dans La Fabrique du monstre, il en parle surtout dans le livre suivant, La Chutre du monstre, publié en 2019.

La difficile vie à Marseille : c’est surtout pour les plus pauvres

En fait, la partie la plus intéressante de La Fabrique du monstre, c’est essentiellement la première. Celle qui parle des fameux « Quartiers Nord », qui raconte 10 ans d’immersion dans les quartiers Nord de Marseille, la zone la plus pauvre d’Europe, comme le décrit le titre complet du livre. Le journaliste parle des difficultés auxquelles les familles pauvres doivent faire face, alors qu’elles sont déplacées, mises de côté, délaissées par un système public défaillant. Au milieu de tout ça, du trafic, tous types de trafics : la drogue principalement, entre cités et groupes, avec des rivalités qui vont jusqu’aux règlements de comptes dont on entend régulièrement parler dans les médias. Derrière cela, il y a des amis, des familles, qui sont dans une forme de misère humaine. C’est donc cela que Marseille, le montre, fabrique : de la misère sociale.

Et les derniers mots de La Fabrique du monstre sont là pour le rappeler :

« La violence, la drogue, l’affairisme, les magouilles, la corruption, le béton, l’élection, le racisme… Pour la France, et d’autres pays qui s’intéressent à nous, Marseille est une aventure à elle seule, sans avoir besoin de voyager. Elle constitue aussi une sorte de soupape de sûreté pour libérer la pression trop forte des problèmes refoulés dans l’Hexagone.

[…]

Cette ville n’est tout simplement que l’illustration visible des malfaçons de la République française.

La Fabrique du monstre, Philippe Pujol

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