Le sacre du temps libre

« Le sacre du temps libre. La société des 35 heures » : travailler moins pour vivre mieux

En 2002, le sociologue Jean Viard faisait l’étude de la réforme des 35 heures dans son livre Le sacre du temps libre. La société des 35 heures. 20 ans plus tard, alors que le Gouvernement veut reprendre du temps aux citoyens, on peut se questionner sur l’usage de notre temps : libre ou imposé.

Synopsis de Le sacre du temps libre. La société des 35 heures

« Cet essai analyse les conséquences de la réduction du temps de travail à 35 heures sur la vie quotidienne des Français : et ces conséquences sont diverses, multiples et fortes.

Mais cet essai va plus loin. Inscrit dans une oeuvre sociologique qui analyse les effets de la croissance des temps libres dans nos sociétés depuis plus de vingt ans, il repose la question de la place du travail, du couple et de la famille, celle de la construction des liens sociaux.

Pour Jean Viard, les 35 heures révèlent et accélèrent des mutations profondes, observables depuis les trente glorieuses, marquées par 68, déployées à la fin du XXème siècle. Elles favorisent une société coproduite entre des temps libres qui ont pris leur autonomie, des familles qui se réorganisent et une culture du travail en mutation. Une société où la dynamique sociétale et le social traditionnel sont en partie découplés. Un essai brillant qui pose de questions importantes et difficiles. »

Première édition
Le sacre du temps libre. La société des 35 heures

Réduire le temps de travail est une mesure juste pour tous : la thèse du livre Le sacre du temps libre. La société des 35 heures

Tout d’abord, une analyse faite par Jean Viard et qui ne tombe pas sous le sens, c’est que cette réforme est une réforme juste, notamment pour l’égalité de genre : les femmes travaillent historiquement moins que les hommes, ce qui fait qu’elles ont des salaires moins élevés (bien que ce soit aussi le cas à travail égal). Beaucoup de femmes travaillent d’ailleurs à mi-temps, 20 heures par semaine par exemple. Mais en optant pour les 35 heures et une réduction du temps de travail, on permet à certaines d’avoir de nouveaux contrats à temps plein.

Aussi, cela a permis une baisse du chômage en France, grand combat du quinquennat Hollande, qui s’est mal terminé. Une mesure sans doute plus efficace que les radiations massives de Pôle Emploi que l’on peut observer aujourd’hui et qui font diminuer les fameux « chiffres du chômage ». À une heure où les entreprises font toujours plus de profits, la réforme du Gouvernement de Lionel Jospin vise aussi à rééquilibrer le rapport entre capital et salariés.

Une réforme pour avoir plus de temps libre selon Jean Viard

Auparavant, la norme était celle des 39 heures : 4 heures de moins, ça peut ne paraître pas beaucoup. Mais c’est l’équivalent d’une demi-journée de travail sur une semaine. Un temps précieux pour… se libérer du temps par exemple. De quoi développer ses passions et activités sur un temps libre plus grand. Si, sur la totalité d’une vie, le temps de travail n’est pas si grand que ça, surtout dans les sociétés développées et où l’on étudie jusque tard, cela reste un temps « imposé » à beaucoup. Un temps nécessaire pour gagner de l’argent pour vivre. Tout cela est résumé par Vald dans Rappel :

« Pas manger, ça fait mourir, et j’suis habitué au chauffage
Tes besoins vitaux sont payants, t’as compris la prise d’otage
Depuis tout p’tit dans la merde, tu sais qu’il faudra mailler
Au moins un peu pour l’loyer, au moins un peu pour grailler
Depuis tout p’tit dans la merde, on t’apprend à travailler

[…]

Pour travailler, donc pour manger, on t’prend à 3 ans, on t’lâche à 25″

Rappel, Vald

D’un point de vue plus philosophique, le temps est la ressource ultime : il est limité, on ne peut l’étendre à souhait. C’est aussi ce qu’on prend à un condamné à mort et plus généralement à une personne qu’on tue.

La question de la qualité du temps libre : autre dimension très importante dans Le sacre du temps libre. La société des 35 heures

Derrière la quantité de temps libre, vient un autre critère au moins aussi important : la qualité. Avoir du temps libre, c’est bien, en fait ce qu’on veut, c’est mieux. C’est en cela que la réforme est profondément sociale : pour Jean Viard, elle doit être accompagnée de changements sociétaux. Développement des transports en commun, de l’offre culturelle et sportive, etc. Il faut permettre à tous de faire ce qu’il souhaite de son temps libre, peu importe ses revenus.

Pour autant, la réforme des 35 heures a un effet pervers : elle réduit l’implication des citoyens dans la vie publique, dans la sphère publique. D’un point de vue proportionnel, les travailleurs sont de moins en moins nombreux à s’impliquer dans les syndicats de travailleurs. C’est justement parce que leur vie est moins consacrée au travail. De même pour les partis politiques. Est-ce la démonstration d’une société plus individualiste ? Pas forcément. En fait, on se rend compte aussi que les activités des citoyens pour la collectivité mutent, changent de formes : c’est particulièrement le cas avec les réseaux sociaux. Si Jean Viard n’aborde pas du tout la question des mutations de l’activité citoyenne, on peut penser que c’est lié à la date de publication de Le sacre du temps libre. La société des 35 heures : 2002.

Si les patrons ne sont pas contents, c’est qu’on est sur la bonne voie

Dans leur portrait de Lionel Jospin, Usul et Ostpolitik reviennent sur la réforme des 35 heures de Martine Aubry et du bras de fer entre le gouvernement et le patronat. On y découvre des images d’archives de débat où les patrons accusent le coup : les changements encourageraient la délocalisation et mettraient en danger les entreprises. Là où d’autres politiques ont abaissé le coût du travail, celle de Jospin l’a augmenté. L’intérêt premier d’une entreprise est de gagner de l’argent : ce n’est pas nécessairement mal en soi, mais ce sont les dérives qui en découlent qui le sont. Augmenter artificiellement la masse salariale dans les sociétés de plus de 10 salariés comme l’a permis cette réforme tout en maintenant le niveau de salaire, c’est réduire les superprofits de n’importe quelle multinationale (au moins un peu), tout en redonnant cela directement aux travailleurs, sous forme de temps.

Toucher à la corde sensible de l’argent auprès des patrons, ça paraît être une bonne chose : cela veut dire que l’on va dans le sens du progrès social. C’est le cas précisément parce que l’intérêt d’un patron, c’est avant tout gagner de l’argent (sans généraliser pour autant).


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