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Hold-Up : analyse d’un documentaire complotiste sur la pandémie de Covid-19

Sorti le 11 novembre 2020, réalisé par Pierre Barnérias, Hold-Up veut interroger sur la gestion de la crise sanitaire de la pandémie de Covid-19 dans le monde et particulièrement en France, en évoquant une conspiration mondiale, politico-économique. Quels sont les arguments avancés par le documentaire, sont-ils complotistes ? Qu’est-ce ce qui relève de la contre-vérité sérieuse et qu’est-ce qui est davantage du ressort complotiste ?

Pierre Barnérias : un « journaliste » et réalisateur de documentaire proche de la religion catholique

Pierre Barnérias, est un journaliste et réalisateur de documentaires français âgé de 56 ans. Au début de sa carrière, il a travaillé chez Ouest-France en presse écrite, puis à la radio et à la télévision dans le service public. Par la suite, il est devenu réalisateur de documentaires, avec des thématiques liées à la religion catholique avec laquelle il est très proche mais aussi les questions de santé. Hold-Up n’est pas le seul de ses travaux qui a fait polémique : son documentaire A qui profite le flou ?, sorti en 2013, voulait montrer que les photographies communiquées par la préfecture sur la manifestation de La Manif pour tous du 24 mars 2013 avait pour but de minimiser le nombre de manifestants. Une accusation qui avait été démentie par la préfecture mais aussi par l’AFP.

La thèse de Hold-Up : entre mauvaise gestion de la pandémie et complot mondial

Introduction

Le documentaire démarre sur des interventions courtes de différentes personnalités interviewées, référence aux contributeurs du documentaire. De quoi remettre en cause certaines choses : gouvernement, OMS, politiques publiques, monde scientifique, médical, le tout en France et à l’étranger.

Hold-Up se qualifie de « film citoyen ». Le personnage du coronavirus apparaît, il relate l’histoire des virus dans l’humanité.

Ensuite démarre la voix-off du journaliste, qui questionne les politiques de confinement de la population en France. Une voix soulignée par une bande son « dramatique », « sérieuse », « lourde ».

Puis d’autres intervenants reprennent les consignes et décisions de la France et de l’OMS et commencent à remettre en cause ce qui a été dit ou fait (complot, erreurs, etc.) par ces organisations ainsi que qui contrôle ces entités puissantes.

Partie 1 : Les masques

On voit des images de personnes victimes de problèmes de peau liés au port du masque.

La difficulté à se procurer des masques de bonne qualité est traitée : ils seraient à la fois protecteurs et efficaces.

Ensuite, on nous diffuse des témoignages d’élèves et de parents d’élèves concernant le port du masque (enjeux de lien social, de confort) et les contaminations, les tests de dépistage. Puis, on nous expose les désavantages du port du masque qui proviendraient de l’OMS.

Partie 2 : le confinement

On nous parle de l’augmentation des agressions sexuelles, violences conjugales notamment sur les mineurs lors du confinement : zéro dépôt de plainte.

Les amendes et menaces physiques, mais également les opérations médicales reportées/annulées dans les hôpitaux. En fait, le documentaire aborde la question des dégâts collatéraux du confinement, avec des malades qui ne se rendent pas dans les hôpitaux et les centres de soins mais également l’isolement social (dans les EHPAD, pour les enfants).

On parle même d’une destruction de la société ; le mal dont on veut se prémunir engendrerait un nouveau mal.

Partie 3 : les procédures en cas d’épidémie

Hold Up accuse les tests PCR de donner trop de faux positifs, qui seraient 20 fois plus élevés qu’annoncé par les autorités sanitaires.

Les intervenants dénoncent le manque de moyens mis à disposition des hôpitaux : manque de masques, de blouses, de charlottes. Le tout alors que les médecins tiraient la sonnette d’alarme auprès des autorités sanitaires.

Partie 4 : le virus de la peur

Un virus de la peur « envoyé du plus haut sommet » : par l’Etat. Ce dernier utiliserait la peur pour nous contrôler en instaurant des législations « d’urgence » qui dureraient en fait dans le temps. Un contrôle fait par l’obligation du port des masques.

Pour les intervenants, en fait l’épidémie se propage surtout en hiver, avec un virus différent.

Dans cette partie, Michael Levitt compare le nombre de contaminations et de décès entre le choix de la Suède de ne pas appliquer de restrictions sanitaires et la situation du Diamond Princess, ce bateau de croisière sur lequel il y avait eu beaucoup de contaminations en février 2020. Cependant, il ne fait aucune nuance sur le fait que les populations de la Suède et de ce bateau ne sont pas les mêmes, l’environnement est également différent.

Ensuite on nous explique qu’une deuxième vague serait inédit en termes d’épidémie mondiale (selon l’anthropologue de la santé Jean-Dominique Michel)

De la peur au mensonge : c’est le constat fait par le documentaire, notamment sur la question du port du masque : d’abord non-recommandé puis obligatoire dans de nombreuses situations. D’ailleurs, Pierre Barnérias fait une série d’extraits de discours de membres du Gouvernement au fil de la pandémie qui disent que le port du masque n’est pas recommandé ; puis qu’il est obligatoire dans certaines situations et est vivement recommandé. Il est assez facile de faire cet exercice-là : lorsqu’il réalise son documentaire, Pierre Barnérias et ses intervenants a plusieurs mois de recul sur la connaissance du virus, contrairement aux personnes dans les extraits montrés. Alors évidemment, il est possible que le Gouvernement ait mal communiqué et/ou n’ait pas pris la bonne décision à l’époque.

Partie 5 : les erreurs des autorités sanitaires

Autre argument avancé : Olivier Véran qui dit que le masque ne fonctionnerait pas trop sur la grippe. Le réalisateur appuie sur ce point en inscrivant « Le masque ne marche pas sur la grippe », ce qui n’est pas exactement la même chose.

D’ailleurs, il cherche les morts de la grippe, en se demandant pourquoi on n’en a pas parlé cette année ; pour lui, certains patients (en dehors de la grippe également) ont été catégorisés comme « patients Covid ». Seulement, le documentaire est sorti le 11 novembre 2020 : la surveillance de la grippe débute le 1er octobre pour se terminer à la mi-avril. On est assez tôt dans la saison pour « compter les morts ».

Puis, les agissements de l’OMS sont critiqués :

  • « Tarde à reconnaître la transmission du virus
  • Minimise les risques de l’épidémie
  • Surestime le taux de létalité
  • Déconseille l’usage de l’hydroxychloroquine »

Un scénario qui s’était déroulé en 2009 avec l’épidémie de grippe H1N1.

Partie 6 : l’hydroxychloroquine

Par la suite, le documentaire aborde la question de l’hydroxychloroquine. C’est le professeur Didier Raoult qui a tenté ce médicament sur des personnes malades, en réanimation. Les différents intervenants se demandent pourquoi il y a eu un tel acharnement contre le traitement à l’hydroxychloroquine. Sur 7000 cas testés, aucun décès apparemment.

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas l’utiliser, sauf pour les cas graves à l’hôpital, ce qui n’a pas contenté les interviewés qui n’ont pas compris la décision. Pour appuyer son propos, Pierre Barnérias reprend les mots d’Agnès Buzyn, qui parle de l’hydroxychloroquine, puis une ellipse est faite, on passe à un extrait où elle dit penser que l’on consomme trop de médicaments et qu’il vaut mieux en consommer le moins possible. Ce qui est dommage ici, c’est que le contexte n’y est pas, ce n’est qu’une phrase parmi toutes les autres qu’elle prononce durant son intervention.

Pour dénoncer la stratégie de communication de l’Etat, le réalisateur prend l’exemple des 21 interventions télévisées en 2 mois sur des plateaux de Karine Lacombe, chercheuse et infectiologue, montrée comme « caution scientifique du Gouvernement ». Le problème, c’est qu’aucune comparaison n’est faite avec d’autres apparitions de scientifiques à la télévision, le contexte n’est pas donné.

Pour continuer sur l’hydroxychloroquine, on nous parle d’une étude synthétique dans la revue The Lancet, qui s’appuie sur 800 études à travers le monde ; des études sur des cas non-comparables et une synthèse qui ne prendrait en compte que les études qui favorisent l’utilisation de ce médicament. La méthodologie de ces articles scientifiques est également remise en cause.

On accuse alors cet article du Lancet d’avoir causé des morts dans le monde, en déclarant que dans les pays qui avaient arrêté le traitement à l’hydroxychloroquine, on a vu des pics de mortalité. C’est peut-être vrai, mais il est possible qu’il y ait un lien de corrélation et non de causalité entre ces deux événements : la causalité n’est pas entièrement démontrée.

Puis, on nous fait la comparaison entre l’hydroxychloroquine et le Remdisivir ; ce dernier serait plus cher, plus compliqué à fabriquer et à administrer. Ensuite, on nous parle du refus d’une étude menée par et sur des médecins pour tester l’efficacité de l’hydroxychloroquine ; le problème ici, c’est qu’on ne nous parle pas de groupe témoin ou de groupe placebo (méthodologie en double aveugle) qu’on ne remet pas en cause le fait que les médecins s’auto-surveillent dans cette étude, c’est même dit explicitement. De plus, les médecins ne sont pas une population représentative de l’ensemble de la population française. Autre problème : ici, Violaine Guérin sous-entend que c’est parce que l’étude portait sur l’hydroxychloroquine qu’elle était refusée « automatiquement » par la Direction Générale de la Santé, mais sans évoquer les autres raisons possibles : mauvaise méthodologie, etc.

Partie 7 : l’épidémie aurait été prise trop au sérieux

Plusieurs intervenants expriment leur surprise quant au nombre de mesures sanitaires prises, à la peur qui s’est installée : port du masque, développement accéléré du vaccin.

C’est aussi le cas par rapport à « l’enfermement » des personnes âgées dans les EHPAD, deux interventions sur « je connais un médecin » ou « je connais une soignante », des expériences rapportées en passant par le filtre de plusieurs personnes, ce qui les rend moins précises.

Afin d’argumenter « objectivement » le fait que les mesures prises soient trop importantes, Pierre Barnérias interroge deux avocats qui remettent en cause les décisions « arbitraires » prises par le Gouvernement, auxquelles on s’habituerait, ce qui est évidemment dangereux pour la démocratie.

Dans Le Rapport CIA : Comment sera le monde en 2020 (Alexandre Adler), il est dit qu’une pandémie, du modèle de celle du Covid en 2020, pourrait frapper le monde. Cependant, il est fort probable que sur le nombre de personnes tentant de prédire l’avenir, au moins une ait raison ; d’ailleurs, il n’est pas le seul à parler de pandémies mondiales dans le futur, notamment Bill Gates, évoqué juste après.

Puis on nous parle de Jacques Attali, qui serait un « prophète », ayant alerté sur le fait de retenir des leçons de la grippe H1N1 et qui aurait prédit l’élection d’Emmanuel Macron : ce dernier fait est surtout ajouté au documentaire, avec de nombreux extraits, pour « légitimer » sa position de prophète.

Pour continuer sur les sous-entendus complotistes, le documentaire aborde la question du vote d’une loi le 5 décembre (2019) pour « rendre légal le confinement », soit quelques mois avant le premier confinement en mars 2020. Ici, c’est le timing qui est remis en cause. Cependant on n’interroge pas les personnes qui ont écrit et fait voter cette loi, ni même les élus qui l’ont votée pour en savoir plus (Pierre Barnérias ne dit pas non plus avoir contacté des personnes qui pourraient en savoir plus).

Partie 8 : Big Pharma et les vaccins contre l’hydroxychloroquine

Pour appuyer sur le fait qu’il y ait une sorte de manipulation de l’information autour des traitements contre le coronavirus, le documentaire parle du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui serait lié à « Big Pharma », l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Une industrie qui aurait fait en sorte d’enterrer l’hydroxychloroquine pour appuyer le Remdisivir, notamment pour avoir des marges plus grandes. Afin de démontrer que plusieurs groupes font de grands profits, on nous montre le cas de Gilead en nous disant que ce dernier a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 22 milliards de dollars en 2019 ; cela a beau être une grosse somme, on ne nous montre pas les profits réalisés (réels ou estimés). Pour démontrer les profits potentiels, il est dit que les matières premières coûtent 10 dollars pour un traitement à 3 120 dollars ; c’est peut-être le cas, mais on ne nous dit pas combien coûte la fabrication du médicament, qui peut être potentiellement très élevée (sans compter les autres coûts annexes).

Dans le même temps, il est dit que les études cliniques sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 ont été arrêtées, comme Discovery, ou encore Hycovid. On nous diffuse même une citation de Didier Raoult qui dit : « Je fais un appel aux journalistes d’investigations. Je voudrais savoir pourquoi les 2 essais comparatifs avec l’hydroxychloroquine faits dans ce pays, Discovery et l’essai fait à Angers, Hycovid, ont été arrêtés prématurément alors que l’hydroxychloroquine donnait de bons résultats. ». Pourtant, selon les chercheurs de l’étude Hycovid eux-mêmes, c’est à cause d’un manque de patients que cette dernière a été arrêtée. Le documentaire n’ira pas plus loin sur ce point dans sa thèse.

Partie 9 : une pandémie prévue depuis le début ?

Dans l’optique de nous montrer que la pandémie de Covid-19 était peut-être prévue depuis le début, on nous parle d’une « répétition générale » entre universitaires, hôpitaux, entreprises, organisations publiques, organisée par l’OMS pour prévoir quoi faire en cas de pandémie mondiale. La dernière date d’octobre 2019, soit quelques semaines avant les premiers cas à Wuhan. D’ailleurs, l’un des participants de cette réunion dit avoir peur de la désinformation provenant des réseaux sociaux. Pierre Barnérias « a du mal à le croire », sans aller plus loin, laissant juste la place pour sous-entendre que les revendications des citoyens du monde entier peuvent se développer surtout sur les réseaux sociaux ; les accuser de désinformation de façon « automatique », reviendrait donc à les discréditer d’office.

Ensuite, le documentaire accuse les grandes agences de presse mondiale d’avoir lancé les alertes sur la pandémie et d’avoir relayé les « fausses études », sans remettre du contexte encore une fois. Ces grandes agences ont beaucoup de journalistes dans leur service et alimentent une très grande partie de la presse : il est normal qu’énormément d’informations soient publiées par ces agences. Pierre Barnérias vise évidemment davantage l’AFP. Il tente de démontrer que les médias sont payés par la fondation Bill & Melinda Gates ainsi que par l’Etat en prenant l’exemple du Monde, sans en expliquer les raisons ni en en démontrant les contreparties pour ces médias (encore une fois, il les sous-entend) ; en appuyant sur le fait que tous les médias donnent les mêmes informations. Accuser les médias, c’est peut-être se prémunir contre les articles et informations à propos de son documentaire après sa sortie afin de justement discréditer automatiquement ces médias.

Par un système de brevets déposés plusieurs années avant 2020, que ce soit pour les virus mais aussi les tests de détection de ces virus ou les vaccins développés, on tente de nous montrer l’origine humaine de ce virus. Tout aurait été fabriqué par l’Institut Pasteur ; on nous parle d’ailleurs d’ADN, de protéines, sans rien nous expliquer. Sans bagage scientifique, on ne peut pas comprendre les enjeux de ces brevets, qui ne nous sont pas expliqués non plus.

Un certain Mohammed El Houadfi nous dit que « le virus est bien adapté à l’homme, on dirait qu’il est devenu juste humain à 100% », pour montrer l’origine humaine du virus, sans parler à aucun moment de possibles mutations qui auraient permis l’adaptation du virus à l’homme.

Partie 10 : Bill Gates, la cryptomonnaie et les nanoparticules

Par des brevets déposés par Bill Gates à propos de la cryptomonnaie et les nanoparticules, on tente de nous montrer le complot des vaccins dans le monde, notamment via la fondation du milliardaire. Arrivent peu après les dérives complotistes autour de la 5G pour contrôler la population avec pour argumentation un ensemble de termes techniques débités très vite. Un monde contrôlé par les élites gouvernementales et économiques qui auraient réussi à nous faire empêcher de penser le complot.

Un contrôle qui serait facilité par la disparition de l’argent liquide (ce qui est probablement vrai, la nécessité de conserver du liquide est importante), mais qui est corrélée ici avec les gestes barrières : on a incité la population à payer en sans contact (carte bancaire, téléphone). Mais le lien entre les deux n’est pas démontré, sinon de façon très lointaine, en rapport avec cette histoire de complot mondial. On nous parle d’ailleurs d’un rapport d’activité reçu par certains utilisateurs de smartphones envoyé par Google à ces personnes-là, en liant cette information à l’installation de TousAntiCovid, sans développer ce que contient ce « rapport d’activité ».

Partie 11 : conclusion et mobilisation de la population

Dans la dernière partie de Hold-Up, le documentaire se penche sur les populations qui se mobilisent afin d’afficher leur mécontentement vis-à-vis des mesures prises, mais aussi de la peur qui serait créée par les gouvernements, les organisations mondiales dans le but de terroriser (et de contrôler) les citoyens. Des mesures qui seraient sans fondement.

Le consensus scientifique est également remis en cause, qualifié de « religion », qu’on ne pourrait remettre en cause et dont les idées seraient contrôlées et inchangeables.

Le complot mondial chercherait alors à assassiner les pauvres du monde entier : plusieurs milliards de personnes qui ne seraient pas utiles aux riches élites.

Comment passer de la thèse critique à la théorie du complot : comment Hold-Up nous enferme dans une vision complotiste

Faire le résumé du documentaire et des arguments des différents intervenants est très intéressant, mais avoir un regard global sur le documentaire l’est peut-être tout autant. En fait, d’un point de vue global, le documentaire débute sur des thèses critiques sur la gestion de la pandémie par le Gouvernement français, par l’OMS et par les autres Etats du monde entier, notamment sur les questions des tests PCR, des masques et des contaminations. C’est à partir de la question de l’hydroxychloroquine que tout dérape : c’est par ce traitement que l’on arrive aux thèses complotistes. Ces théories du complot qui sont énoncées, elles arrivent petit à petit, d’abord sous-entendues, pas forcément très explicites, puis deviennent de plus en plus appuyées au fur et à mesure des arguments énoncés. Si au début, les arguments donnés en faveur d’un complot ne vont pas vraiment au bout de la réflexion, c’est pour nous laisser penser ce qu’on veut, nous faire dire ce que le documentaire ne dit pas « de vive voix ».

Zoom sur une des contre-vérités complotistes d’Hold-Up : le virus aurait été fabriqué par l’Institut Pasteur

Un des « scoops » du documentaire est que le virus aurait été fabriqué par l’Institut Pasteur avant d’avoir été propagé à Wuhan, c’est ce qu’affirme effectivement Jean-Bernard Fourtillan, présenté comme « professeur et expert en pharmacologie et toxicologie ». Une thèse complotiste qui, même plusieurs mois après la sortie du film, est toujours affirmée par le réalisateur Pierre Barnérias, comme il le dit lors d’une interview pour l’émission Complément d’enquête (sortie en septembre 2021).

C’est cependant une contre-vérité absolue née d’un malentendu entre un complot et un brevet déposé par l’Institut Pasteur sur une séquence d’un virus différent de celui qui sévit actuellement. Le professeur Schwartz, de l’Institut Pasteur précise :

« Ce brevet ne porte pas sur le virus, mais sur la séquence de virus du SRAS de 2003, ce qui est totalement différent. L’objectif est de protéger la découverte et les potentielles applications*. »*

Des accusations qui ont été démenties par l’Institut Pasteur, par la revue The Lancet et par plusieurs scientifiques.

Ce faux argument pose en fait une question plus grande à propos du documentaire : celle du choix des intervenants, de leur légitimité et des propos qu’ils tiennent.

Des contre-vérités comme celle-là, il y en a plusieurs dans Hold-Up, des erreurs également et c’est même Pierre Barnérias qui le précise dans un tweet posté le 14 novembre 2020, soit trois jours après la sortie de son documentaire :

« Alors oui il doit y avoir des coquilles ici ou la mais qui ne remettent en rien toutes les infos du film qui sont des faits et des propos de personnes compétentes ds leur domaine »

Des intervenants nombreux, mais pas légitimes : comment utiliser des figures d’autorité pour faire croire ce que l’on veut

La liste des intervenants dans Hold-Up

En regardant le documentaire, j’ai dressé la liste des intervenants ainsi que les professions, expertises associées telles quelles ont été inscrites. Cette liste est très longue : 40 personnes interviewées durant les 2 heures 30 du film.

  • Michael Levitt : biophysicien, chimiste et Prix Nobel de Chimie
  • Astrid Stuckelberger : docteur en médecine et professeur universitaire
  • Michael Yeadon : ancien directeur de la recherche chez Pfizer
  • Xavier Azalbert : directeur de publication France Soir
  • Martine Wonner : psychiatre et députée
  • Jean-Dominique Michel : anthropologue de la santé
  • Michel Barthéléry : docteur en médecine moléculaire
  • Alexandra Henrion-Caude : généticienne et ancienne directrice de recherche à l’INSERM
  • Mamadou : taxi parisien
  • Silvano Trotta : lanceur d’alerte
  • Claude Veres : dermatologue
  • Nathalie Derivaux : sage-femme
  • Violaine Guérin : endocrinologue et gynécologue
  • Gonzague Retournay : cardiologue
  • Pascal Tottra : radiologue, homéopathe et nutritionniste
  • Kamel : chauffeur VTC
  • Michel Granarolo : pharmacien
  • Rachid : taxi parisien
  • Christian Perronne : chef de service des maladies infectieuses (Hôpital de Garches)
  • Laurent Toubiana : chercheur épidémiologiste à l’INSERM
  • Michel Rosenzweig : philosophe
  • Monique Pinçon-Charlot : sociologue
  • Gonzague Retournay : cardiologue
  • Philippe Douste-Blazy : ancien ministre de la santé
  • Olivier Vuillemin : expert en fraude scientifique
  • Carlo Alberto Brusa : avocat
  • Régis de Castelneau
  • Valérie Bugault : docteur en droit privé
  • Jean-Bernard Fourtillan : professeur et expert en pharmacologie et toxicologie
  • Luc Montagnier : virologue et prix nobel de médecine
  • Mohammed El Houadfi : professeur en médecine vétérinaire et spécialiste de la Covid-19
  • Luigi Cavanna : directeur service oncologie hôpital de Piacenza
  • Un ancien opérateur de renseignement
  • Ariane Bilheran : psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie
  • David Pliquet : ingénieur et chef d’entreprise spécialisée dans le numérique
  • Dr. Reiner Fuellmich : membre de la commission d’enquête extra-parlementaire allemande de la Covid-19
  • Peter C. Gotzsche : directeur du centre de recherche Cochrane Nordic
  • Florian Gomet : explorateur
  • Catherine Fitts : commissaire de l’administration George H. W. Bush
  • Nadine Touzeau : profiler

Des intervenants légitimes ?

La question de la légitimité et de l’expertise est ici centrale. De nombreux intervenants du documentaire ont été pointés du doigt pour leur légitimité douteuse à s’exprimer sur certains sujets. D’ailleurs, certains d’entre eux s’expriment sur des sujets dont ce n’est même pas l’expertise ; un problème qui est d’ailleurs montré dans le documentaire, mais à destination des plateaux de télévision. Complément d’enquête toujours, déclare :

« D’autres CV ou professions de foi d’experts cités dans Hold-up ont de quoi surprendre. Ainsi, Silvano Trotta, qui croit à des abductions d’extraterrestres, ou Jean-Jacques Crèvecœur, surveillé pour dérive sectaire… »

Pierre Barnérias, lui, ne voit pas le problème des parcours de vie de ses intervenants, du moment que ce qu’ils disent dans son documentaire est « vrai » :

« Là, vous êtes en train de déglinguer Silvano Trotta parce qu’il aurait dit que les extraterrestres… J’en ai rien à foutre, des extraterrestres, que la Terre soit plate… Moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il dénonce, concrètement, avec des faits, qui sont vérifiables. »

Une légitimité qui se pose également sur Jean-Bernard Fourtillan, le professeur qui a accusé l’Institut Pasteur d’avoir inventé le Covid-19. Après une « révélation divine » sur une molécule imaginaire nommée « valentonine », le professeur Fourtillan a mené des essais cliniques sur les troubles neurologiques, notamment les maladies d’Alzheimer et de Parkinson ; des essais frauduleux et non-autorisés. Cela fait qu’il sera visé par une enquête pour « tromperie » et « abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne vulnérable ». Par ailleurs à la même période, il est arrêté puis hospitalisé (sans son consentement) dans un hôpital psychiatrique d’où il est ressorti depuis.

Ce qui est assez dommage, c’est qu’aucun membre du Gouvernement de l’époque n’ait été interrogé par Pierre Barnérias ; on ne sait pas s’il en a contacté, mais il ne dit pas l’avoir fait et avoir eu une réponse négative/pas de réponse. De même pour les principales organisations publiques de santé, qu’elles soient françaises et/ou internationales (OMS, INSERM, ANSM, ARS) : les intervenants sont surtout des « anciens » membres de ces organisations.

Des intervenants désavoués par leurs anciens soutiens

Si le parcours précédant les déclarations des intervenants peut poser problème, ce n’est pas tout : plusieurs d’entre eux ont été désavoués, critiqués par des personnes qui les soutenaient auparavant (communauté scientifique, organisation publique, etc.).

C’est notamment le cas d’Alexandra Henrion-Caude, généticienne et ancienne directrice de recherche à l’INSERM. LCI a d’ailleurs interrogé un ancien collègue de la « scientifique » :

« […] le généticien Axel Kahn connaît bien sa consœur : il fut en en effet son directeur de thèse et garde d’elle l’image d’une chercheuse « de très grande qualité, très travailleuse ». Il confie néanmoins à LCI avoir découvert avec stupeur ses récentes interventions. « Cette évolution m’a désolé », glisse-t-il, évoquant des déclarations « pas tellement différentes des pires de positions complotistes. […] Axel Kahn admet aujourd’hui ne pas pouvoir « la considérer comme une chercheuse ». Son positionnement, ajoute-t-il, lui apparaît « à la limite d’un engagement religieux et sectaire », et « l’emporte sur ce qu’est sa capacité réelle à faire de la recherche de qualité ». »

Axel Kahn n’était d’ailleurs pas la seule personne à raconter cette évolution d’Alexandra Henrion-Caude dans cet article de LCI.

Des erreurs d’argumentation qui ne passent pas

Ce que l’on peut retenir de l’argumentation d’Hold-Up, c’est qu’elle est assez pernicieuse voire machiavélique. Certaines informations sont évidemment fausses, non-sourcées et mêmes mal argumentées. Certaines informations sont cependant vraies (surtout au début du documentaire lorsque les thèses complotistes ne sont pas encore énoncées/sous-entendues) : mais elles sont la plupart du temps données sans contexte, un mécanisme basique de manipulation mais très dangereux.

Là où le documentaire ne prend pas de risques, c’est notamment sur le complotisme. Dans certains cas, le complot est sous-entendu, non-énoncé de façon explicite et l’argumentation ne va pas jusqu’au bout : cela nous laisse la place de penser ce que l’on veut, surtout le pire.

Parfois, le documentaire s’en va dans une sorte de melting-pot argumentatif avec des phrases d’intervenants sur divers sujets en rapport avec la gestion de la pandémie par le Gouvernement : pas assez de moyens, des règles anti-humanistes, mais sans encore une fois aller jusqu’au bout, proposer quelque chose de vraiment intéressant.

En fait, il y a tellement d’informations, la plupart pas très précises dans le fond, qui sont débitées à la minute qu’il est très compliqué de suivre la construction de l’argumentation développée ; cela donne un résultat très compliqué à analyser et qui empêche la prise de recul sur le moment.

D’ailleurs, le « point Godwin » est atteint à deux reprises dans le documentaire, comparant la situation qui pourrait dériver à l’Holocauste ou au régime nazi. Un cruel manque d’argumentation, une comparaison rhétorique vide de sens.

Comment analyser Hold-Up ?

Analyser Hold-Up, c’est très compliqué. Il faut tout d’abord replacer le contexte temporel dans lequel le documentaire est sorti : le 11 novembre 2020. Cette date est importante à retenir puisque depuis un an, la connaissance autour du virus a évolué, la situation sanitaire également. En fait, c’est toute la crise du Covid-19 qui a évolué depuis plus d’un an ; bien que de nombreux éléments du documentaire soient faux, le contre-argumenter avec des sources datant d’après la sortie peuvent être frauduleux dans le sens où la connaissance n’est pas la même entre les deux périodes. C’est quelque chose à prendre en compte dans certaines situations auxquelles j’ai pu être exposé.

Ce « millefeuille argumentatif » est tellement épais que je ne pense pas du tout avoir les épaules ni le bagage pour proposer une analyse médiatique complète, exhaustive, rigoureuse. J’ai l’impression de n’avoir fait qu’effleurer le sujet tant les informations sont nombreuses, denses et difficiles à complètement analyser.

Si dans une analyse, notamment médiatique comme c’est le cas ici, il est d’usage de faire preuve de nuance, d’exposer la thèse, l’antithèse, la synthèse, c’est compliqué lorsqu’on parle de ce documentaire. En fait, le seul effet « positif » engrangé par ce dernier, c’est le fait qu’on a pu se rendre compte que des thèses complotistes existaient et étaient entendues ; aborder cette thématique est utile pour prendre des décisions de la meilleure manière possible. Mis à part ça, reconnaître des qualités à Hold-Up, c’est selon moi insulter en quelque sorte le journalisme.

Si l’on ne peut évidemment pas être objectif à propos d’Hold-Up (ni à propos d’aucun autre sujet journalistique), on peut au moins faire ce que le documentaire n’a pas fait : être honnête.

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