L'Auto-journal, ou comment (faire) choisir une automobile

« L’Auto-journal, ou comment (faire) choisir une automobile » : résumé détaillé

Fiche de lecture et résumé détaillé du chapitre L’Auto-journal, ou comment (faire) choisir une automobile de Franck Cochoy, publié dans Sociologie du packaging. ou l’âne de Buridan face au marché disponible ici.

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Résumé de L’Auto-journal, ou comment (faire) choisir une automobile

L’article analyse le rôle des magazines automobiles consuméristes, se concentrant sur « L’Auto-journal ». Il souligne comment ces magazines agissent comme des acteurs-équipements en intégrant divers intérêts, notamment à travers des essais comparatifs. L’auteur met en avant la pratique de la notation pour concilier subjectivité et objectivité. Il note également l’évolution des critères, montrant des choix influencés par la culture, les finances et les professionnels. L’article conclut sur le formatage du choix par les essais, libérant et contraignant les consommateurs tout en discutant de la notion de « structure-support » pour comprendre les comportements des consommateurs.

La place des journaux spécialisés dans l’automobile

Le “journal consumériste” dédié à l’automobile est “un acteur-équipement typique” pour Cochoy. Selon lui, “il intègre tous les autres équipements et s’en fait porte-parole” :

  • Obligations réglementaires
  • Constructeurs et distributeurs
  • Intérêts des consommateurs
  • Consumérisme
  • Les véhicules en eux-mêmes

C’est un acteurs de médiation du marché à part entière. La rhétorique de L’Auto-journal fait en sorte que le choix seul n’existe pas : il n’existe que des choix conseillés par des professionnels, si possible les siens. Ses bancs d’essai sont dits “sévères” et “objectifs” via des “tests”, des “épreuves” ou encore des “mesures”. Cependant pour Cochoy, “le magazine consumériste occupe donc une position originale, à la fois distincte des consommateurs et des fabricants, sans être pour autant vraiment “indépendante” des intérêts des uns et des autres.” La position des journalistes ne serait pas tout à fait totalement extérieure et impartiale. Cochoy cherche alors à comprendre “comment s’établit cette alchimie complexe des intérêts et de leur déplacement par le truchement des tests et des mesures “objectifs” ?”

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L’exemple de l’essai comparatif

La comparaison de deux voitures présuppose qu’elles sont semblables (gamme, prix, format) et dissemblables (l’une est supérieure à l’autre sur un certain point et vice-versa) simultanément. C’est aussi faire l’hypothèse que la différence entre ces deux modèles n’est pas suffisamment apparente aux yeux des consommateurs : un examen approfondi serait alors nécessaire pour trancher. Dans le cas où un “match nul” serait conclusion, est-ce que le comparatif est utile ?

Pourtant, “le constat de proximité n’exclut pas la désignation de différences” et ces différences sont établies en fonction du marché d’ensemble et de l’examen des voitures en elles-mêmes. Alors, le journaliste qui détermine un “match nul” a réalisé un travail méthode sur plusieurs critères. Son jugement se fonde sur la “répartition égale des points forts et des points faibles”, tout en établissant “une hiérarchie implicite entre les facteurs de jugement possibles”. Le journaliste applique une “grille d’évaluation générale et systématique”. Pourtant, au sein même de cette grille, on trouve des motifs qui peuvent être considérés comme subjectifs, comme l’esthétique de la voiture. Dans l’exemple de L’Auto-journal, c’est une combinaison de jugements subjectifs et objectifs qui se fait de deux façons :

  • La multiplication d’avis objectifs pour leur donner une dimension objective
  • La conversion ce qui s’apprécie subjectivement, mais dont on ne peut faire de mesure objective (sous la forme directe d’une note)

Alors, “la pratique de la notation permet non seulement de concilier subjectivité et objectivité mais aussi, partant, de rendre l’une et l’autre commensurables, et donc de faire la synthèse des appréciations, de calculer un score et une moyenne globale”. Pour Cochoy donc, l’égalité numérique des deux véhicules “traduit bien plus qu’une équivalence subjective entre deux produits différents : il s’agit plutôt d’une équivalence formelle, résultat de la synthèse “objective” de toutes les différences repérées (identifiées/codifiées)”. L’égalité permet aussi au lecteur/consommateur de s’intéresser aux sous-notes, au raison de cette égalité, il “peut fonder sa décisions sur ses propres références, discriminer les produits en s’appuyant sur telle ou telle caractéristique préférée”.

Pourtant, les caractéristiques de produits peuvent être variables entre eux : certains en ont que d’autres n’ont pas. “Leur nombre et leur nature peuvent varier” pour l’auteur.

Ce que montre la comparaison des comparatifs

En comparant plusieurs comparatifs au cours des années de fonctionnement de L’Auto-journal, le chercheur a observé “des évolutions, des substitutions, des soustractions et des additions assez curieuses”. En fait, “les critères mobilisés ne sont pas intangibles : certains disparaissent […], d’autres les remplacent ou les complètent”. En fait, c’est le “système dévaluation globale, qui s’oriente dans deux directions” :

  • Les principes de la notation évoluent : apparition de coefficients, voire abandon des notes.
  • “L’organisation stylistique globale des tests évolue à la fois vers une forme plus littéraire et systématique”, avec notamment un effort d’illustrations (graphiques, tableaux de mesures, inventaires récapitulatifs)

En fait, pour Franck Cochoy, cela montre que les consommateurs n’ont pas le choix, ou que ces choix sont cadrés par trois choses :

  • Ce qu’ils sont (leur culture, leurs finances)
  • Ce que sont les automobiles (un moyen de transport)
  • Ce que font les “professionnels du “prêt-à-choisir” (qui donnent les moyens de choisir en connaissances de causes)

Pour lui, “automobile, automobiliste et journal consumériste sont trois pôles indissociables : ils se tiennent les uns et les autres”. Les trois “se redéfinissent constamment les uns les autres, dans un sens qu’il est bine difficile de prévoir”.

En réalité, on peut trouver des “invariants empiriques”, des “attributs génériques” qui ne sont d’ailleurs pas mentionnés dans les essais. Certains sont matériels, d’autres non. Quand les fabricants trouvent un ou deux arguments de vente différenciants, les journalistes “mobilisent avec plus ou moins de systématisme toute une série de critères pour relativiser l’ensemble de l’offre”. Les modalités évaluées le sont au regard de “la technologie disponible, les inclinations des consommateurs, les commentaires des prescripteurs”. Le journaliste a une “place particulière, en raison de sa position intermédiaire, mi-engagée, mi-dégagée (Callon, 1999), qui lui permet d’arbitrer entre les intérêts des uns et des autres, de peser sur leurs décisions, et donc de redistribuer leurs stratégies et actions respectives.”

Le formatage du choix, ou comment (faire) choisir une automobile

Le problème avec les essais automobiles, c’est qu’ils sont plein de paradoxes sur “la mise en débat récurrente des valeurs de telle ou telle caractéristique” qui contribue “à soustraire toujours davantage les caractéristiques elles-mêmes à toute discussion”. C’est là que se trouve l’intérêt de la “comparaison des comparatifs”. Pourtant, ce n’est pas ce que font, ni ce que peuvent faire les lecteurs. Cet inventaire permet de soulever plusieurs enjeux :

  • L’enjeu du cadrage du comparatif
    • Il y a une transivité possible des comparatifs, mais pas de transivité effective. En faisant des choix, le journal en ferme d’autres
  • L’enjeu de la finitude de la liste des critères mobilisés
    • Le journal permet de mettre en lumière des dimensions que les lecteurs auraient pu oublier, tout en faisant oublier des critères plus personnels
  • L’enjeu de la pondération des divers critères pour obtenir une appréciation globale
    • Il y a des doutes des journaliste eux-mêmes, entre mesures précises et qualité éditoriale, avec “l’extrême subjectivité de l’opération consistant à peser l’importance relative des différentes caractéristiques”. L’Auto-journal lui-même a adopté plusieurs pratiques. En fait, “l’octroi d’une liberté de pondération suppose malgré tout l’acceptation implicite des notes individuelles, des éléments pris en compte pour la notation et, plus encore, la reprise inconditionnelle de la démarche analytique, rationnelle et consumériste”. Malgré tout, “le jugement rationnel est encore bien difficile”.

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Pour Cochoy, “l’équipement moderne des choix libère et contraint le consommateur”. Tous “les dispositifs de comparaison sont contraignants, puisqu’ils imposent l’adoption d’une démarche analytico-rationaliste, laquelle réduit implicitement tout choix à l’évaluation plus ou moins quantitative de telle paire d’automobiles comparables (…) d’après tel ensemble fini de caractéristiques (…) au risque de masquer la possibilité d’objets ou de critères alternatifs”.

Plus généralement, les dispositifs de choix libèrent le consommateur de l’effort cognitif qu’il aurait à fournir sans les essais. Néanmoins, “la sélection des objets comparables et la mise en avant des critères de comparaison formatent notre vision des choses ; des deux opérations nous disent sur quelles alternatives doit porter notre regard, et d’après quoi nous devons construire notre estimation”.

On compare des véhicules sur différents points :

  • Cote
  • Performances
  • Millésime et durée de vie
  • Caractère plus ou moins polluant
  • Matériaux employés
  • Prix
  • Mérites comparés des réseaux de distribution
  • L’état des lois et de la réglementation
  • Origine
  • Facilité de prise en main et usage
  • Apparence et esthétique
  • Classe et utilisateurs

Alors, “l’appréciation du produit nous relie implicitement […] à l’ensemble des réseaux et des médiations qui, s’ils ne font pas directement l’opinion, sous-tendent néanmoins, de façon quasi nécessaire, sa formation et son expression”. Alors, l’appariement décuple les capacités cognitives du consommateur : il permet d’aller plus loin dans son estimation personnelle en faisant gagner du temps en évitant de construire un cadre d’analyse et des mesures personnelles. De quoi libérer du temps pour s’intéresser à d’autres points particuliers : “les dispositifs d’aide au choix, comme toutes les normes sociales (Lévi-Strauss, 1967) ou comme tous les cadres techniques (Latour, 1994) nous libèrent d’un harassant travail de définition et de cadrage de nos rapports et de nos interactions, et son en cela beaucoup plus “émancipateurs” qu’ils ne sont “contraignants”.

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“D’un côté, l’abondance et la prégnance des dispositifs d’aide à la décision prouvent à quel point nos comportements sont aujourd’hui cadrés, formatés, structurés. Mais d’un autre côté, la volatilité des comportements, l’incertitude des marchés, la fantaisie des consommateurs montrent combien l’emprise des « technologies marchandes » reste fragile.”

L’Auto-journal, ou comment (faire) choisir une automobile

En fait, “les comportements libres et contraints des consommateurs structurent en retour les stratégies des producteurs et des spécialisent qui s’intercalent entre les deux, sans qu’il soit toujours facile de faire la part des logiques d’offre (actives) et des logiques de demande (réactives), de la complaisance (médiatique) et de l’initiative (éditoriale).

Selon Franck Cochoy, “pour prendre en compte de tels phénomènes, il nous faut concilier l’action locale et l’ordre global, réformer les notions d’acteur et de structure en les incluant l’une dans l’autre.” C’est pourquoi il propose la notion de “structure-support” qui se substitue à la “structure-cadre” : il entend par là “la micro-structure empirique, datée, située, immanente, qui fournit aux acteurs le moyen de “guider” leurs comportements (ou le comportement d’autrui), mais qui leur permet aussi, partant, de trouver des raccourcis pour raller plus vite, plus loin, pour se décharger d’opérations fastidieuses, pour reporter leur attention vers d’autres choses.”


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