Comme le montre la carte Médias français, qui possède quoi du Monde Diplomatique, en collaboration avec Acrimed, quelques milliardaires français se partagent la plupart des journaux, chaînes de télévision et stations de radio. Une information qui est donc contrôlée par ces industriels et qui pose problème. Media Crash – Qui a tué le débat public ? se penche sur les mécanismes utilisés par ces hommes d’affaires ultra-riches pour manipuler l’information à leur avantage. Un documentaire produit par Mediapart, de Luc Hermann et Valentine Oberti.
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Synopsis de Media Crash – Qui a tué le débat public ?
« Il y a ce que vous voyez, ce que certains souhaitent que vous voyiez, et ce que vous ne voyez pas. Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés. Quelques industriels milliardaires, propriétaires de télévisions, radios, journaux utilisent leurs médias pour défendre leurs intérêts privés. Au détriment de l’information d’intérêt public. En cachant ce qui est essentiel, en grossissant ce qui est accessoire, ces médias façonnent, orientent, hystérisent pour certains le débat. Avec la complicité de certains responsables politiques, qui s’en accommodent volontiers. Mediapart et Premières Lignes vous racontent les coulisses des grands médias. »
Allociné
90% des médias possédés par 9 milliardaires ? Ce n’est pas exactement ça
Dans les premières lignes de cette production Premières Lignes (celle-là, elle était facile), on nous indique que « Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés : neuf milliardaires détiennent plus de 90 % des grands médias, télévision, radio, journaux ». Toutefois, cette formule est un peu abusive, comme l’a démontré l’équipe de CheckNews (de Libération) : il serait plus exact de dire qu’un « groupe de 10 milliardaires pèse 90% des ventes de quotidiens nationaux vendus, 55% de l’audience des télés, et 40% de celle des radios ». Quoi qu’il en soit, cela reste énorme : dans son article Concentrations des médias : les milliardaires vous informent !, le journaliste Michel Diard indique que « les industriels ont fait main basse sur les médias, non seulement sur l’information, mais aussi sur le divertissement, encouragés par les gouvernements successifs partisans de la constitution de grands groupes de presse et de communication capables de se mêler à la concurrence nationale ».
Une concentration des médias qui n’est pas innocente de la part de ces industriels. L’exemple le plus frappant, c’est sans aucun doute celui de Vincent Bolloré, auditionné l’année dernière au Sénat dans le cadre d’une commission dédiée à cette thématique. Alors, le sénateur David Assouline (PS) a mis cinq minutes à énumérer les différentes activités du propriétaire de Vivendi. Une scène surréaliste qui montre à quel point il y a un projet derrière ces rachats successifs. Ce projet, il est loin d’être financier : les journaux sont souvent déficitaires et bien des journalistes ont un statut précaire.
Des cas concrets de manipulation de l’information
Plutôt que de mener une enquête socio-économique, Luc Hermann et Valentine Oberti ont anglé différemment leur documentaire. Le plus simple, pour toucher une audience large, c’est de parler à tout le monde. Et ce qui parle à tout le monde, ce sont les exemples. Cela passe par le conte des différentes grèves ayant touché respectivement iTélé et Europe 1 lors de la prise de contrôle de ces deux médias par Vincent Bolloré. De quoi donner la parole à des journalistes pour expliquer concrètement ce dont ils avaient peur et ce qui s’est réellement produit.
D’un autre côté, Media Crash se penche sur les conséquences et les ficelles du contrôle de l’information. Dans un contexte de campagne présidentielle, le documentaire revient sur l’ascension d’Eric Zemmour depuis quelques années dans les médias. Partant d’un rôle d’éditorialiste à celui d’homme politique de premier plan (avec une campagne dans laquelle lui aussi a manipulé l’information sur Wikipédia), on lui a donné la place de se produire, que ce soit sur CNEWS, mais aussi sur C8, dans l’émission Touche Pas À Mon Poste !. Même lorsqu’une émission de Cyril Hanouna est dédiée à interviewer Jean-Luc Mélenchon, celui-ci se retrouve face à Baba, ou plutôt face à Zemmour. Ces épisodes ont même donné un livre : La Langue de Zemmour, dont j’avais parlé il y a quelques temps.
Valentine Oberti : réalisatrice elle-même victime de pressions
Là où Media Crash va encore plus loin, c’est que Valentine Oberti, journaliste qui a coconçu le documentaire de Mediapart, a elle-même été victime de pressions de la part du Gouvernement sur l’affaire des armes françaises au Yémen. Si ces révélations datent d’avant la sortie de ce film journalistique, on peut y voir des images exclusives tournées dans le cadre d’une chronique dans Quotidien, où elle était journaliste il y a quelques années.
On la voit montrer à la ministre des Armées de l’époque un document classé confidentiel qu’elle s’était procuré. Ce dernier montrait que certaines armes françaises, vendues aux Saoudiens ou aux Émiratis, peuvent être utilisées contre les populations civiles yéménites. Elle a ensuite été menacée de poursuites pour possession de documents classés « confidentiel défense ». Des pressions qui n’ont pas lieu d’être selon moi (et selon Valentine Oberti), puisqu’elles sont des atteintes à la liberté d’informer, d’autant plus que ce document représente un réel intérêt public.
Que retenir de Media Crash – Qui a tué le débat public ?
En réalité, Media Crash ne nous apprend rien : toutes les affaires évoquées, comme celles relatives aux conflits entre Bernard Arnault et Complément d’enquête, on les connaissait déjà. Ce que fait Media Crash, c’est de visibiliser ces affaires et de montrer en quoi les pouvoirs politique et économique sont dangereux pour notre liberté d’être informés. Les enjeux du journalisme ne se réduisent pas qu’à une poignée de journalistes qui débattent sur Twitter : c’est aussi une affaire de démocratie. C’est parce qu’on est aussi bien informés à notre époque que notre pouvoir s’accroît : la communication, c’est aussi une affaire de pouvoir. Cette concentration s’étend d’ailleurs : dans les médias rap, certains se font racheter par des majors de l’industrie musicale. Même dans la presse tech, on voit des phénomènes de concentration, ce alors même que l’indépendance est un statut de plus en plus compliqué à vivre. Le titre de ma « critique » n’est pas anodin : « l’information est un bien public » est une référence à un livre du même nom écrit par Benoît Huet et Julia Cagé, qui proposer une réflexion sur la refondation de la propriété des médias. Pas de doute là-dessus : si Media Crash est un « petit documentaire indépendant », c’est aussi un formidable outil pédagogique et un film d’utilité publique.
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